Chapitre 36

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Des coureurs et des rôdeurs, représentant les deux premiers stades de l'infection qui avait touché l'immense majorité de l'humanité dans cet univers, émergèrent des bois par dizaines en un jaillissement de feuilles et de hurlements hystériques. La vision brutale de cette immonde marée vivante paralysa pendant quelques secondes l'ensemble des personnes postées sur le chemin de garde. Une voix puissante sortit tout le monde de sa torpeur :
- Tenez vous prêts !
Marie, la chef du village, se tenait au dessus de la porte principale, un fusil d'assaut dans les mains, avec lequel elle mit en joue la masse grouillante qui s'approchait en courant ; chacun l'imita, attendant le signal. Lorsque celui-ci arriva, il me sembla que les feux de l'enfer s'étaient déchainés. Je n'avais pas vraiment l'habitude des armes à feu ; en fait je n'en avais jamais entendu autre part que dans les films, aussi le vacarme produit par des dizaines d'entre elles en même temps me fit bondir sur place. Sur le coup, je lâchai ma flèche qui partit en l'air dans une direction improbable et inutile.

J'en repris une immédiatement dans le seau près de moi et m'appliqua cette fois à donner à mon projectile une trajectoire parabolique, la faisant retomber dans la foule compacte des assaillants. Ceux-ci étaient à présent une bonne centaine, et bien que les premiers aient été fauchés par nos tirs, la vitesse de leur progression ne s'en trouva absolument pas ralentie. Au contraire, j'eus l'impression que cela les avait galvanisés.

Ils étaient désormais à une trentaine de mètres de la palissade, et Marie émit un nouvel ordre :
- Arrosez-les !
Plusieurs dizaines de cocktails molotovs, allumés dès le début de l'attaque, furent lancés dans les airs ; ils retombèrent dans les rangs des infectés où ils explosèrent en répandant leur contenu enflammé et semant la mort. Portée par le vent, l'odeur écoeurante de chair grillée me parvint, tandis que coureurs et rôdeurs s'agitaient frénétiquement pour tenter d'échapper aux flammes dévorantes qui les consumaient.
Cela n'arrêta pourtant pas l'attaque qui progressait, mètre par mètre, malgré les pertes importantes que subissaient les attaquants. Ellie et moi envoyions désormais des volées de flèches enflammées afin de cueillir tous ceux qui apparaissaient dans la zone dégagée devant le camp, dès leur sortie du couvert des arbres. La clairière s'était transformée en un brasier géant d'ou une fumée acre et épaisse se dégageait, irritant les yeux et les poumons, et occultant progressivement la vue du champ de bataille.

Inexorablement, les ennemis progressaient, enjambant les cadavres de leurs congénères sans marquer la moindre hésitation. Les plus en pointe tombaient désormais sous nos tirs à moins de dix mètres.
- Continuez d'enflammer ceux du fond, mais arrêtez les cocktails molotovs, ordonna Marie à tous.
L'espace d'une seconde, je me demandai pourquoi un tel ordre, puis je compris : l'idée d'utiliser le feu était de stopper net l'avancée des infectés en les tuant et en les effrayant. C'était logique de penser ainsi, ces créatures ayant une sainte horreur des flammes. Sauf que dans cette situation précise, à cause de l'emprise du Voyageur Perdu, leur comportement était tout sauf normal : ils franchissaient le mur de feu sans la moindre hésitation. Or le matériau de construction de la totalité des infrastructures du camp était le bois, qui avait la sale tendance de brûler facilement ; il ne fallait surtout pas que les infectés propagent les flammes aux palissades, et ce danger se rapprochait minute après minute.

Il devait y avoir maintenant plus d'une centaine de corps, mais la marée d'infectés ne semblait pas avoir de fin. Certains parvinrent jusqu'au mur d'enceinte, qu'ils tentèrent d'escalader en vain, finissant rapidement criblés de balles ou de flèches.
Marie, située à une dizaine de mètres de moi, ne cessait de demander de nouvelles des autres portes, redoutant des attaques multiples, ce qui aurait eu comme conséquence de diviser nos troupes, pour le moment principalement concentrées à la porte Ouest.
- C'est étrange qu'ils n'attaquent qu'ici, non ? me demanda Ellie tout en continuant d'arroser de flèches les infectés qui arrivaient de plus en plus nombreux au contact des rondins constituant le mur d'enceinte, provoquant un choc sourd à chaque fois.
- Oui, il les envoie tous au massacre, ça n'a pas de sens.

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