Chapitre 19

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Pendant plusieurs secondes, je fus incapable de prononcer un son. Je sentais le métal froid contre ma gorge, et j'avais peur que le moindre mouvement ne me soit fatal. Comme vous le savez, je connais bien Ellie, pour l'avoir « pratiquée » pendant de nombreuses heures de jeu. Je sais qu'elle est impitoyable, parce qu'elle n'a pas le choix : elle évolue dans un monde où la plupart des humains qu'elle a croisés, infectés ou non, ont essayé de la tuer. Forcément, cela n'incite pas beaucoup à faire confiance à autrui. C'est elle qui finit par briser le silence :
- Je t'ai repérée depuis tout à l'heure. Tu me suis depuis un moment, pourquoi ? Qui t'envoie ?
- Personne, je te le promets. Je ne te veux pas de mal, au contraire.
- Explique-toi. Et n'aies aucun doute sur le fait que je te tuerai si tu essaies de me la faire à l'envers.
- Je te crois, je sais de quoi tu es capable. C'est justement pour cela que je suis là : j'ai besoin que tu m'aides.

A ces mots, je sentis la prise se relâcher un peu. Tout allait se jouer sur les prochaines minutes. J'avais répété plusieurs fois la scène, mais je n'avais jamais imaginé me retrouver dans cette situation. Il fallait que je la joue très fine, si je ne voulais pas finir ma vie égorgée dans une rue sordide du décor d'un jeu vidéo.
- Comment pourrais-je t'aider ? Et qui es-tu ?
- Je m'appelle Romane, j'ai quinze ans. Je suis en danger et j'ai besoin que tu m'apprennes à être aussi forte que toi, ou en tous cas plus forte qu'aujourd'hui.

Après plusieurs secondes d'hésitation, Ellie finit par me relâcher, et me retourna pour me faire face. Elle garda cependant dans le main le couteau qu'elle pointait dans ma direction. Elle se tenait entre moi et la sortie de l'impasse, je ne pouvais donc pas m'échapper ; je n'en avais de toutes façons aucune envie. Mentalement, je sentis Saphir s'énerver : depuis sa cachette, il avait senti que j'étais en danger, et voulait venir à ma rescousse. Je lui intimai l'ordre de ne surtout rien en faire, et le rassurai tant bien que mal. Pendant ce temps, Ellie me fixait, dans l'attente que je développe. Je finis par me lancer, la voix chevrotante :
- Je sais que tu vas avoir du mal à me croire, mais là d'où je viens, beaucoup de gens sont en danger. Et je suis la seule à pouvoir les aider. Or je n'ai aucune capacité pour le faire, c'est pour ça que je viens te voir, pour que tu m'apprennes à me battre, à me dissimuler, bref, à survivre.
- Pourquoi moi ? On ne se connait pas, comment sais-tu que je pourrais t'aider ?
- Je sais que Joel et toi revenez de loin, et que vous avez survécu à toutes les épreuves qui se sont mises en travers de votre chemin.
- Nous étions seuls avec Joel, trop seuls d'ailleurs. Ce que nous avons enduré fut horrible, et personne ne nous a aidés.

Elle avait désormais les yeux perdus dans le vague, je pouvais imaginer les images qui lui traversaient l'esprit : tous ces morts, toutes ces horreurs qu'une fille de quinze ans ne devrait pas connaître. Elle revint soudain à la réalité, et raffermit la prise sur son arme.
- Pourquoi te ferais-je confiance ? Qu'est-ce qui me dit que tu es différente de tous les autres ?
- Regarde moi, Ellie, je suis comme toi : une ado à qui on demande beaucoup trop. C'est pour cela que je suis venue te voir, parce que je suis sans doute une des seules à comprendre ce que tu as enduré ; et tu es la seule à pouvoir me venir en aide. Je sais que tu as du mal à avoir confiance dans les autres, c'est parfaitement normal. Mais si tu baisses les bras, si tu ne crois plus en rien, c'est là que tu vas perdre ce qui reste d'humanité en toi, et que tu vas devenir comme les autres.

Je sentis qu'elle n'était plus aussi sûre d'elle. Elle me regarda longuement, et je me vis à travers ses yeux : une fille un peu paumée, peu sûre d'elle, dans un monde devenu fou. Son regard vacilla, et elle finit par baisser le bras.
- Excuse-moi, je n'ai plus l'habitude d'avoir des rapports normaux avec les gens.
- Ne t'excuse surtout pas, je comprends parfaitement. A ta place je réagirais sans doute de la même façon.
- Je ne sais pas. J'ai commis des choses atroces, tu sais. Ce monde est devenu tellement violent. Je me réveille toutes les nuits en hurlant, et Joel peine à me calmer. Je ne sais pas si cela s'arrêtera un jour.

RomaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant