16° Dorures nacrées

343 43 11
                                    



Dante





Une heure du matin.




Assis nonchalamment sur une chaise, je buvais un verre de champagne.



Les adultes avaient depuis longtemps quittés le bal, et dans l'immense salle ne demeuraient plus que les jeunes. En mal de liberté. En mal d'amour. En mal d'une vie, qui déjà, n'existe plus.



La musique résonnait dans les enceintes et s'échouait en un étrange écho contre les murs. Une drôle d'odeur régnait dans l'air. Un mélange de lavande, et d'aurore. Comme si, le matin, pourtant bien loin, laissait son effluve emporter les réminiscences de la nuit.




Comme si l'aurore se réclamait de la nuit.


Alors, il fallait danser. Vite danser. Avant que le jour ne rattrape la nuit. Avant que la réalité ne revienne frapper, violente et irascible. Avant que la vacuité de notre vie, avant que la Cosa Nostra, une nouvelle fois, ne nous tue.


Rafaele était au bar, buvant. Moi, à l'autre bout de la salle, je le regardai, et soudain, sa peine était mienne. Soudain, moi aussi, je sentais ce gouffre en moi. Cette plaie béante. Elle avait un nom : Sélène.

- Balla con me.

Alessia De Luca, petite fille de Chiara De Luca, se déhanchait près de moi. Dans une robe de soie nacrée, elle brillait sous les teintes mordorées de la salle de bal. Des yeux de renards, d'un bleu glacial, de longs cils noirs, et de longs cheveux blonds soyeux.


Alessia était belle. Sa grand-mère, depuis notre première rencontre, n'avait arrêté d'essayer de nous mettre ensemble. Alessia était belle, mais c'est tout ce qu'elle avait.

- Balla con me, me susurra-t-elle à l'oreille, aguicheuse.

Et soudain, j'eus l'impression que la musique était trop forte. Peut-être était-ce l'alcool, peut-être la fatigue. Peut-être aucun des deux. La tête me tournait, et toute la vanité de ma présence ici me sauta aux yeux.


Tu ne seras jamais eux, Dante. Tu ne veux pas l'être.


Avoir une place importante dans la mafia, être un gros bonnet, où cela me menait-il ? Des sourires, des poignées de main, de l'argent. Et la mort. Mais moi, tout ce temps, je voulais crier. Je voulais hurler. Mais mes cordes vocales, lacérées. Tranchées, comme si elles n'avaient jamais comptées. Comme si peu importe ce que j'aurais pu vouloir dire, cela n'aurait jamais été entendu.


Tu ne seras jamais eux Dante.



Des sourires, des poignées de main, de l'argent. Et la mort.


Et tu ne veux pas l'être.



Alessia me délivrait des caresses, ivre. Une dernière fois, je regardais la salle. Rafaele affalé sur un tabouret au bar. Les filles et fils de, les capos, les sous-boss, tous dansants, tous buvant, tous s'oubliant, tous oubliant, au milieu d'une pièce luxueuse, eux, les criminels.



Nous, les criminels.



Attrapant la main d'Alessia, je suspendais ses caresses. Elle me regarda, incrédule. J'esquissais un sourire triste.


- Scusami, bella.





Et sans plus un regard, je quittais la luxueuse villa des De Luca.












-:-




La nuit est belle. La nuit a ce petit quelque chose d'invincible.

Elle bombarde les cœurs à coup d'étoiles filantes, de lune, et d'infinité.

Ma cadillac volait sur l'asphalte. Routes désertes, campagne sicilienne, j'avais l'impression de rêver. À moitié hors de moi, je me délectais d'une sensation de plénitude. Je réprimais un rictus. Belle ironie.

Au détour d'un chemin de terre, je crus reconnaître le champ où j'avais emmené Sélène, il y a déjà des semaines. Admirer les lucioles, briller dans les hauts feuillages. Admirer une nébuleuse terrestre. Et moi, dans les silences de la nuit, je l'avais admiré elle.



Peu à peu, la nature laissa place à la ville, et je me retrouvais vite à Palerme. Déjà, au milieu de la ville soleil. Je roulais, un peu au hasard, n'ayant pas envie de rentrer. Alors, dans le calme de la Palerme endormie, je passais devant le Teatro Massimo, m'arrêtai un instant devant la Piazza Pretoria, et finalement, su où aller.



Lorsque je coupais le moteur, je crus sentir mon cœur se gonfler d'inquiétude. Que lui dire ? Comment lui dire ? Chassant ces pensées, je me forçais à respirer un bon coup.







Et alors, à deux heures et demi du matin, je poussais la porte de son immeuble.


















-:-


Je ne sais pas si ce chapitre a éclairé beaucoup de choses sur pourquoi Dante était à ce bal, mais les explications vont venir au fil des prochains chapitres 😉

Mais pour faire simple, Dante, par sa position dans la mafia, est contraint d'assister à des événements mondains, parce que la mafia ce n'est pas seulement des crimes sanglants, ou des menaces ou que sais-je ... c'est tout un écosystème. Un art de vivre. Être un mafioso, c'est aussi cela. C'est vivre selon cet habitus.



N'oubliez pas de voter et de commenter ✨


À très vite ❤️

S A P H I ROù les histoires vivent. Découvrez maintenant