l'accident

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Les gens avec qui Math discutait tout à l'heure nous rejoignent, et on commence à parler avec deux filles et un garçon que je ne connais pas.

Mes lèvres trempant dans mon verre, je serre la veste contre ma poitrine pour me réchauffer un peu, et tandis que l'une des filles nous raconte comment elle s'était rendue compte qu'un garçon présent à la soirée draguait la moitié des invités de la soirée précédente, je lève les yeux vers le ciel.

Je contemple les étoiles, et en regardant bien je me rends compte qu'elles sont nombreuses ce soir. Et qu'elles brillent plus que dans mon souvenir. Ou peut-être aie-je trop bu ? Mes yeux dérivent sur Oliver. Je contemple sa silhouette, ses grandes épaules que la lumière dessine dans le noir de la nuit. Je regarde un nuage de fumée qui se dissipe dans l'air et les silhouettes sombres des autres garçons qui se tiennent à côté de lui. Alors que l'alcool que j'avale me brûle la gorge, je contemple mon meilleur ami.

Et il bascule.

Son corps bascule en arrière, sous mes yeux. Je vois sa lente chute, sa cigarette incandescente qui virevolte en tombant.

Mes yeux s'écarquillent alors qu'Oliver tombe, pendant d'infinies secondes. Sa tête frappe en premier une table en fer forgé sur laquelle est posée une bouteille et un cendrier, qui tombent et s'éclatent en morceaux au sol, aux pieds d'un groupe de trois personnes. Un son effrayant qui résonne dans la nuit, celui de sa tête frappant le fer. Un bruit de verre qui éclate.

Roman, toujours sur la terrasse du haut, hurle le nom de mon meilleur ami, dont le corps finit par se fracasser au sol. L'assemblée d'invités pousse un cri d'effroi, de stupeur, les gens en haut se penchent pour voir ce qu'il s'est passé, d'autres se précipitent à l'escalier pour descendre.

Ma bouche s'ouvre dans un cri tandis que je me précipite sur son corps, couché au sol, lâchant ma bière qui finit sa course au sol, en morceaux. Quelques personnes tentent de s'approcher, mais je les pousse et tombe à genoux sur le sol dur et râpeux de la terrasse où des morceaux de verres gisent.

Oliver. Je pose ma main sur sa joue chaude. Elle pique un peu à cause de sa barbe qu'il entretient soigneusement. Il est immobile.

Je ne me rends pas vraiment compte, mais des larmes coulent doucement mes joues. Mon estomac se retourne : Oliver est inanimé, couché là comme une poupée de chiffon.

Pourtant je refuse de croire ce qu'il vient de se passer. Il va se relever. Ses yeux vont s'ouvrir.

Je n'ai aucune idée de ce qu'il se passe autour. Plus rien n'existe.

Une masse de gens se créent dans mon dos, autour d'Oli, un brouhaha grandit derrière moi.

« Il faut appeler les pompiers ! »

« Mettez-le en PLS... »

« C'est qui ? »

« Qu'est-ce qu'il a ? Il s'est passé quoi ? »

Tout se mélange, les larmes brouillent totalement ma vue. Dans ma tête tout résonne, ça tambourine. Un bruit assourdissant. Le fracas.

Je crie son prénom à travers la musique. Je le supplie. Mais Oliver n'ouvre pas les yeux.

-Poussez-vous putain ! Crie une voix, plus forte, plus imposante que les autres.

Roman arrive à côté de moi, tandis Chris repousse tous ceux qui essayent de s'approcher, donnant des directives, essayant de remettre de l'ordre.

-Allez chercher un truc pour le couvrir avant que les pompiers arrivent !

Roman, effaré, mais plus sang-froid que moi, glisse ses doigts dans le cou d'Oliver et cherche son pouls. Quelqu'un coupe enfin la musique.

-Qu'est-ce qu'il a eu ? Pourquoi il... Je balbutie paniquée, essayant de comprendre ce qu'il vient de se passer.

Roman n'arrive pas à aligner deux mots, il cherche du bout des doigts une pulsation. Je sais qu'il est incapable de m'expliquer.

Quelques secondes après, des secondes qui durent une éternité, il relève les yeux vers moi. Lui aussi est en larmes, en silence. Et je sais qu'il n'a pas trouvé de pouls.

Alors je fais ce qu'on m'a toujours dit de ne pas faire : je prends la tête d'Oliver et je le cale sur mes genoux en l'enlaçant, pleurant de plus belle.

Roman s'adosse contre le mur et pleure dans ses mains. Moi je pleure sur Oli. Je l'appelle comme si ça allait changer quelque chose, comme s'il allait se réveiller.

Mathilde arrive à mes côtés. Je n'ai aucune idée de ce qu'elle faisait pendant tout ce temps. Elle me crie dessus :

-Pourquoi tu l'as bougé ? T'es malade, on ne bouge pas des blessés tu le sais !

Je suis incapable de lui répondre. Elle s'agenouille en face de moi, à côté de Roman, et demande :

-Vous avez pris son pouls ?

-Il n'en a pas... Sanglote Roman.

-Quoi ? Demande-t-elle rudement en attrapant le poignet d'Oliver.

-Il n'en a pas ! Son cœur ne bat plus putain ! Hurle-t-il.

Une déferlante de larmes s'abat sur mes joues de plus belle, et la douleur dans ma gorge s'amplifie. J'ai l'impression qu'elle se propage dans tout mon corps instantanément, par vagues.

J'ai l'impression que tout a disparu. Tout. D'être seule au monde.

Pourtant une vingtaine de personnes ont les yeux braqués sur moi, sur nous, murmurent des trucs, mais je ne le ressens même pas, je ne les entends pas.

Ma tête tourne, les sirènes de pompiers retentissent. Je n'ai plus aucune notion du temps ou de l'espace.

-Non, non, non, ils vont te sauver Oli ça va... Murmure Mathilde en caressant le bras d'Oliver.

Math s'agite, confuse, mais elle tente quelque chose, répétant que tout ira bien.

Je chasse de mon esprit embrouillé la possibilité qu'elle ait tort. On ne peut pas nous enlever Oliver comme ça. Ce n'est pas possible. Et pourtant je sais que tout mon être a compris.

Je n'ai aucune idée du temps que je passe avec Oliver inerte sur les genoux, à supplier son retour, totalement fermée sur moi-même. Seule. Je suis incapable de faire quoi que ce soit.

J'écoute : Mathilde supplie qu'on le sauve, des voix proposent des solutions obsolètes. Et de nouvelles voix s'ajoutent au tableau sonore auquel j'assiste à l'aveugle, des voix assurées et directives. Une main se pose sur mon épaule, et un homme essaye de me parler, essaye de percer la bulle que j'ai créée.

-Mademoiselle ? On est les pompiers, il faut que vous nous laissiez votre ami.

-Mademoiselle ! Insiste un autre.

Je refuse de leur laisser Oliver. Je refuse qu'ils l'emmènent loin de moi.

Je ne peux pas le laisser partir, je ne peux pas me retrouver seule. J'ai l'impression de redevenir une enfant, comme quelques années auparavant, incapable de se séparer de ses deux meilleurs amis, même pour quelques minutes. Je redeviens l'enfant fragile et peureuse que j'ai laissé derrière moi.

Je sens qu'on me prend par les épaules, et j'entends la voix tremblante de Mathilde qui me demande de venir avec elle. Des pompiers se précipitent sur Oli, pour vérifier son état. Une nouvelle crise de larmes éclate, je tente de lutter contre son étreinte.

-Viens avec moi, Lisa, s'il te plaît... Laisse-les s'occuper de lui...

J'essaye de me débattre, mais peine perdue, Math me sert contre son cœur, et je m'écroule dans ses bras. J'hurle de douleur, déchirant la nuit. Une femme s'approche de moi et attrape ma main. C'est une pompière, où une ambulancière, je ne sais pas vraiment. Elle me parle, mais je n'entends plus.

J'ai perdu mon meilleur ami. J'ai perdu mon meilleur ami.

Je réalise et le chaos dans ma tête se noie rapidement dans une grande vague noire. Je sens mon corps partir en arrière dans les bras de Math, et le monde arrête brusquement d'exister le temps d'un instant. 

Ceux qui viventWhere stories live. Discover now