les adieux

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Nous arrivons au cimetière presque en même temps que le cortège automobile. Les gens sortent des voitures, la mère d'Oliver est en larmes comme beaucoup d'autres.

Et puis très simplement, le cercueil d'Oli est sorti du corbillard, amené jusqu'à sa tombe. C'est la dernière fois. Ça y est, c'est terminé. C'est l'heure de la séparation.

La douleur n'a jamais été aussi forte qu'à cet instant précis, au moment où nous pouvons saluer Oli une dernière fois. Alors comme à l'église, chacun notre tour nous passons, effleurons le cercueil du bout des doigts, certains s'inclinent en un signe de croix, murmurent quelque chose. Je n'arrive plus à avancer, alors Mathilde prend ma main et m'entraîne doucement avec elle. Elle pose nos mains liées sur le bois du cercueil, nous réunit une dernière fois dans un sanglot. Puis je ne sais pour quelle raison, je croise son regard et nous sourions, tristement mais nous sourions.

-Je te promets qu'on s'occupera bien l'une de l'autre Oliver. Merci Tigrou, pars tranquille. Lui dit Math entre ses larmes.

-Je t'aime Tigrou. J'ajoute en soufflant.

Mathilde dépose un baiser sur sa main et le plaque sur le cercueil comme pour l'encrer dessus, je fais de même, puis nous laissons notre place. C'est étrange cette atmosphère, ce truc de n'avoir que quelques secondes, quelques minutes pour dire au revoir à quelqu'un avec qui j'ai passé quinze ans de ma vie. De devoir vite laisser la place. J'ai envie de rester pour toujours là, ne jamais le laisser partir. Jamais.

Alors nous sommes passés, tous les uns après les autres, tous les proches ont une dernière fois pu dire adieu à Oli. Et les hommes sur les côtés l'ont enterré. Ils ont entré son cercueil doucement dans le caveau familial. La grand-mère veuve, une grosse dame pleine d'amour et de bonté, a murmuré quelque chose, en exécutant un discret signe de croix, son regard dirigé vers le ciel. « Garde le bien près de toi Jean. ».

J'ai pleuré. J'ai pleuré la perte de mon frère, et ses retrouvailles avec papy Jean, qui lui avait tant manqué.

Les hommes des côtés ont ensuite refermé le tombeau, alors que nous restions tous là, perdus. Qu'est-ce que l'on va faire maintenant ?

-C'est fini. Je pleure avant de me réfugier dans les bras de Mathilde.

Ma mère nous rejoint. Elle nous serre contre elle, comme si elle nous protégeait. Mais nous sommes plus vulnérables que jamais. Mathilde pleure, elle craque mais tous les muscles de son corps se contractent pour tenir le coup.

C'est fini.

Alors quand les hommes terminent de remettre le tombeau correctement, replacent les fleurs et ramassent leurs affaires, certains proches vont saluer une dernière fois la tombe et s'en vont. Un peu de la famille, quelques connaissances, certains amis.

Pourtant beaucoup restent là, nous restons ensemble. La maman d'Oli vient nous voir, nous embrasse toutes les deux sur le front, et essuyant ses larmes elle va voir Roman. Je les regarde parler, la chaleur du soleil m'enveloppe, les larmes qui coulent sur mes joues ne tarissent pas, mais elles ne me dérangent plus. Ils discutent, elle pose sa main, bienveillante, sur sa joue, puis elle s'éloigne. Lui, sort du cimetière.

Les gens parlent à mi-voix. A peine je remarque cela, Mathilde me fait la réflexion « ils ont peur de réveiller quelqu'un ou quoi ? ». Je la regarde, un peu intriguée qu'on ait pensé à la même chose en même temps.

Roman entre à nouveau dans mon champ de vision quelques minutes plus tard alors que je discute avec des gens, avec son étui de guitare noir, qui brille au soleil. Il sort la guitare, s'assied près de la tombe d'Oli et se met à jouer We Are Young. Ses amis se rapprochent, et je décide d'en faire autant suivie de Mathilde. Petit à petit, nous nous asseyons au sol avec les amis d'Oliver, autour de Roman, chantons avec lui sous le regard des aînés qui pleurent.

Roman joue avec une fluidité hallucinante. Les yeux pleins de larmes, il enchaine ses accords, laisse sa voix grave s'envoler dans l'immensité des cieux.

Nous restons, alors que quelques personnes partent, nous nous éternisons assis dans les graviers sous le vieux soleil de septembre, en chantant. C'est comme si Roman savait tout jouer, tout chanter. Les chansons se succèdent: Somewhere Only We Know, Before You Go, Memories de Maroon 5...

L'après-midi continue et nous restons là, à discuter et à chanter, auprès d'Oli. Quelques fois des inconnus entrent dans le cimetière, et en passant nous regardent tous entassées là, les uns contre les autres, à chanter en séchant nos larmes. Quelques fois ils nous sourient, d'autres nous dévisagent bizarrement. Mais rien ne saurait briser ce moment que nous passons, la douceur que Roman diffuse avec sa guitare, cette proximité que nous avons alors que pour certains d'entre nous, nous sommes presque des inconnus. La famille part petit à petit, nous ne sommes plus qu'entre « amis », accompagnés des parents d'Oliver, mes parents et deux trois autres adultes qui discutent près de nous. Nicolas, le petit frère d'Oli est resté, appuyé contre Mathilde, à côté de Gloria.

Souvent je la regarde. Qu'est-ce qu'elle est belle Gloria, mais elle est vide, son regard est inhabité. Comme si elle était partie avec lui.

Roman continue à chanter longtemps, même quand les derniers adultes s'en vont, les parents d'Oliver partent en dernier le cœur serré, pour rejoindre leur famille. Nous décidons de rester « encore un peu ». Nicolas insiste un peu auprès de ses parents pour rester avec nous, ces derniers cèdent finalement quand Chris propose de le ramener chez eux. Nous resterons donc avec Nicolas.

Au moment de partir, Lucie, la maman d'Oli nous dit de faire attention, et de bien veiller sur ses fils. Nous lui rendons son sourire les larmes yeux, puis ils partent l'un contre l'autre. Lucie est formidable, la femme la plus douce du monde, mais également la plus forte je pense.

Nous finissons à une quinzaine, toujours au même endroit, Roman jouant Death Bed de Powfu à la guitare, nous nous éternisons aux côtés d'Oli tandis que le soleil commence à baisser. Je suis collée contre Nicolas, ce petit frère laissé seul, mais que nous adopterons sans problème. Il sera toujours pour Math et moi, notre petit frère d'adoption.

Ce sera seulement quand le ciel se teindra de rose que nous déciderons de partir, le cœur déchiré, vidés.

Avant de quitter ce cimetière, dans lequel je vais revenir je le sais, des centaines de fois, je me penche sur la tombe et murmure dans un sanglot :

-Je te promets Oliver ça ira. Je resterais une vivante aussi longtemps que je pourrais, je te jure. Je t'aime Oliver. Je t'aime.

Puis nous partons. Tous. Même lui.

Ceux qui viventWhere stories live. Discover now