Règle #3

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Une insomnie. Voilà de quoi se ponctuaient mes nuits depuis une très longue période. La fatigue est une faiblesse handicapante que je surmontais chaque journée qui osait se présenter devant moi. Alors, je buvais du thé. Thé noir plus exactement. Souvenir d'un lointain passé. J'errai dans le petit appartement que j'eus réussi à m'accaparer il y a de cela quelques années. Je m'approchai du fin finestro illuminant la cuisine improvisée de la faible pâleur de la lune. Je regardais derrière l'épaisse vitre, la caressant du bout des doigts. Une immonde vue sur un caniveau où se faisaient jeter cadavres de toutes espèces.

Je finis par détacher ma vue d'un corps pourrissant pour la porter sur une bouteille en verre, qui se distinguait dans l'engouffrant noir de la nuit. La bouteille était elle-même posée sur un tabouret en bois mité. Le liquide tentateur m'apparaissait comme un bon remède. Je pesais le pour et le contre. Boire plusieurs litres afin de devenir ivre pour que Morphée daigne m'ouvrir ses bras. Voilà une habitude bien plus ancienne encore que l'élixir au thé noir.

Cependant, je ne pouvais me permettre de réveiller l'ange endormi dans ma chambre, sur mon misérable lit de fortune. Pendant une heure, je n'avais cessé d'observer ses traits si délicats, si détendus. Hier, alors que le jeune garçon s'était perdu dans l'étreinte du sommeil, j'avais pansé ses plaies, couvert de pommade et je m'étais fais le devoir de nettoyer ce gamin crasseux jusqu'au bout des ongles.

Encore perdu dans mes pensées, j'observais l'étiquette vieillie de ce que je considérais comme un remède miracle. Un paradis pour certains, un enfer pour d'autres. Je ne faisais partie d'aucune catégorie. Enfin, je crois. Juste un buveur passif.

Poussé par une résignation surprenante, je m'éloigna de la beuverie de la tentation et remit mes pas en route vers ma chambre. L'enfant dormait toujours, couché sur le ventre, un léger ronflement brisait le silence navrant de la pièce. Combien de temps avait passé depuis que j'avais amené, ne serait-ce qu'une personne, dans ma demeure? Sur le mur jauni, l'heure qu'affichait la pendule était tardive. Pourtant pas une particule de sommeil n'alourdissait mes yeux.

Désormais allongé dans le lit réchauffé par la présence d'Eren, je l'observais, laissant ma main vagabonder sur les cheveux châtains que j'avais précédemment nettoyés. Mon membre finit par caresser sa fine joue qui attestait de son manque de nourriture. Malgré sa maigre pâleur, sa douceur enchantait ma paume. Puis, au bout d'un certain temps, mes yeux se fermèrent.

Un doux rayon du soleil coula sur ma joue, répandant une trainée chaude. Mes yeux clos s'ouvrirent. Je me les frotta, laissant un bâillement ouvrir mes lèvres scellées. Pour la première fois depuis des années, jamais une nuit de sommeil m'eut été aussi réparatrice.

Un bruit sourd parvint à mes oreilles. Je me mis sur la défensive, anticipant la moindre attaque à venir. Du coin de l'œil, j'observai la place froide se trouvant à mes côtés. Le déserteur était probablement l'émetteur du bruit de si bon matin.

Je me leva, ennuyé. Arrivant dans la cuisine, je vis un individu s'affairer à cuire un quelconque plat. Je l'interpella d'une voix froide et tranchante comme du métal poli. Dans un sursaut, il laissa entendre un gémissement craintif que je qualifie d'adorable. Pendant cinq minutes, aucun ne parlait, nos yeux s'observaient, nos pensées nous jugeaient. Dans un mouvement précipité, il rompit le contact entre nos iris afin de retirer une poêle en fer du feu.

Il parla d'une voix tremblante:

<<-Euh... Je-j'ai fais le petit déj' avec...euh... ce que j'ai trouvé dans l'armoire.>>

D'un geste pointilleux de la main, il désigna ladite armoire. J'acquiesça juste avant de m'assoir à la petite table de bois, raclant le sol de la chaise que j'avais tirée. D'une détermination craintive, il s'installa face à moi et déposa le petit déjeuner préparé dans des assiettes qu'il avait préalablement disposées sur la table. Seul l'entrechoquement du fer contre la porcelaine emplissait le silence pesant de la cuisine. Sous les rayons du soleil se filtrant par le finestro, je l'observais manger. Ses yeux verts, oppressés, semblaient fuir les métalliques que je possédais.

Une fois les assiettes libérées de leur contenu, nous restions là, à nous jauger du regard.

<<-Tu vas faire quoi, après?>>

Il eut un mouvement de recul à ma soudaine question. Puis, triturant ses doigts, il baissa la tête.

<<-Je-je pensais rester ici. Avec vous. Je vous en prie, je n'ai nulle part où aller.>>

Puis, se rendant compte de la bêtise qu'il venait de prononcer, il articula tant bien que mal, ses iris évitant toujours les miennes.

<<-'Fin, si vous voulez bien. Et puis je ne serai pas un fardeau! Je travaillerai... Je ferai ce que vous voulez afin que vous m'acceptiez chez vous! Je dormirai par terre! Ne mangerai que la moitié de ce que j'aurai préparé pour nous!>>

Je m'approcha de lui, levant mon bras. Eren protégea sa tête de ses avant-bras, la parant d'éventuels coups. Je finis par poser ma main sur ses doux cheveux.

<<-Bien, gamin. Que ce soir clair: je veux pas de boulet ici. Alors tu feras le ménage et la bouffe, clair? Pour ce qui est de manger, tu prendras tes repas avec moi quand je serai présent et tu dormiras avec moi.>>

Sous ses yeux surpris, je me recula. De fines larmes perlèrent au coin de ses yeux. Ses joues rougirent et un sourire étira ses lèvres gercées.

<<-Merci beaucoup. Je vous en suis immensément reconnaissant.

-Mais que ce soit clair E.r.e.n.>>

Tout en accentuant les lettres de son prénom, je relevai son menton afin coller nos fronts ensembles.

<<-Ici, trois règles à respecter: Un. Arrête de me vouvoyer, j'suis pas vieux. Deux. Tu dois obéir à chacun des ordres que je te donnerai. Et trois. Ne sors jamais de cet appart' sans moi, clair?>>

Le gamin hocha vigoureusement la tête en signe d'accord. Je relâcha le bas de son visage, un rictus aux lèvres sous sa mine carmin. M'éloignant de lui pour me reposer dans ma chambre, je lui lançai avec détachement:

<<-Au fait, je m'appelle Levi, morveux.>>

Pourquoi j'avais pris ce gosse... cet inutile gosse sous mon aile? C'est une question que je me pose encore aujourd'hui. Peut-être parce qu'il ressemble au môme que j'étais, rejeté et abandonné par cette société pourrie. Enfin, je n'aurai probablement jamais la réponse.

Mais dans tous les cas, je ne le regrette pas, sois en sûr Eren.

Règle n°3: Reste avec moi

Faucheurs pourpresOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz