Règle #8

35 2 0
                                    

Le soleil emplissait la cuisine insalubre de mon petit appartement au misérable loyer, dans ce quartier nocif aux honnêtes gens. Par le fin finestro, sous la lumière du jour nouveau au ciel bleu et dégagé, se laissent encore pourrir deux cadavres. Deux bourgeois entrant dans ce monde corrompu jusqu'à la moelle, dépouillés de leurs affaires, de leur valeurs, de leur renommée, de leur vie. Seuls deux macchabées souillés de sang coagulant et collant aux cheveux bouclés de la femme, au visage barbu et important de l'homme. Répugnant. Je détournai le regard vers ma fidèle bouteille. Sous les rayons de l'aube, le liquide vermillon miroitait les espoirs de l'ivresse. Un goût délicieux, tentateur et meurtrier. Plus meurtrier qu'un tueur à gages, sans aucun doute. Je gloussai doucement, sans rire, sans une quelconque envie. Un gloussement ironique et dénué de sentiments. Le ciel bleuâtre se grisait au contact de nuages épais annonciateurs de mauvais temps. C'est ainsi que sous ce ciel, ce dôme céleste reflétait, inlassablement, la couleur vermillon du vin impitoyable. Pourtant, ce matin, ce début d'un semblant de journée atroce, aucune pulsion alcoolisée ne me vint. Aucun besoin d'évacuer le poids de mes crimes dans un état éphémère.

<<-Tu vas flâner encore longtemps, le mioche ?>>

Ce dernier, affalé contre le cuir ébréché d'un sofa vieillot récupéré dans une montagne d'ordure par ma chère et déjantée collègue, laissait quelques râles de sommeil tordre sa bouche asséchée.

<<-Levi, laisse moi encore cinq minutes.>>

Une petite voix ébréchée par un assoupissement proche tortura les cernes visibles et tirées par la fatigue d'Eren. L'entrainement d'hier avait apparemment eu raison de toute la force enfantine dansant dans son frêle corps enfantin. Nageant presque dans une large chemise, étirée et déchirée par le temps, ses bras et jambes nus dépassaient éhontément et tremblaient imperceptiblement sous leurs ecchymoses bleutées.

Je l'observa un instant, dans cet état de prélassement intense, puis soupira doucement. Je me dirigeai vers la chambre, partagée depuis quelques temps avec cet individu fainéant, dans le simple but de réarranger le lit, dont plusieurs oreillers avaient chuté durant la nuit quelque peu mouvementée, partagée sensuellement entre deux hommes éperdus dans une luxure bienfaitrice. Mon visage impassible se sentit fondre sous de doux souvenirs lascifs.

Une dizaine de minutes dû s'écouler. Peut-être plus, ou moins. De petits clapotis, ressemblant au son adorable de minuscules pieds de mioche frappant le parquet de la chambre, s'approchèrent de moi. D'un œil las et désintéressé, j'observai la tignasse châtaine et hirsute se rapprocher de ma personne.

<<-T'as fini de bailler aux corneilles?>>

Sans répondre, d'un geste condescendant, il s'empara d'un bout de couette qu'il attira vers lui. Sans un regard, il plia le gros morceau de tissu nous assurant chaleur.

<<-Oi, je te parles.>>

Eren releva doucement ses deux gemmes verdâtres et brillantes d'une malice prononcée. Il me sourit, ses douces lèvres luisant sous la lumières du lustre dont les quelques toiles d'arachnées soulignaient un voile transparent. Une petite hématome parcourant sa pommette se souleva avec ses traits souriants et offrit un spectacle tout aussi attachant que douloureux.

Pourquoi ce môme avait-il vécu ça? Qu'aurait été sa vie sans cette tragédie? Aurait-il mené une vie bourgeoise et pleine d'une naïveté répugnante propre aux gens normaux? Ou se serait-il souillé d'un avenir sans futur? Que se serait-il passé si, ce jour-là, je l'avais ignoré et laissé en proie aux poings du rustre qu'était son adversaire? Etrangement, l'aspect que cet adolescent faiblard soit dépendant d'une pourriture telle que moi, ne m'était pas désagréable. Et ce sentiment soulagé que j'éprouvais ne générait en moi qu'un dégoût.

Détournant la tête vers le chemin menant à la cuisine, je me posai la question: Finalement, qui est le plus dépendant de l'autre dans cette ridicule histoire?

<<-Levi? Ca va pas?>>

J'orientais mes prunelles vers lui. Eren m'observait, yeux pétillants d'inquiétude. Je leva un bras. Il ferma ses paupières, effrayé de mon prochain mouvement. Ma main se posa sur sa tête aux cheveux doux et rebondissants.

<<-Détends-toi, débile. Je vais pas te frapper.>>

Un gloussement intimidé finit par répondre à ma remarque acerbe.

<<-Tu as toujours un regard effrayant, c'est pour ça!>>

Malgré moi, son sourire fit chauffer mes joues. Détournant les pigments rosés de ma peau, je répondais:

<<-Que veux-tu, Eren? Tu changes pas comme ça la personnalité d'un tueur en série.>>

Un silence suivit. Tiquant, je me dirigeai vers la cuisine, ayant constaté que le lit avait était fait durant mes pathétiques réflexions de tantôt. Mais une voix m'arrêta.

<<-Tu sais quoi, Levi? Un jour, je te ferai sourire! Et rire aussi! Tu vas voir!>>

Mon cœur rata un battement tandis qu'une boule douloureuse agita mon estomac. Rictus imperceptible aux lèvres, je me retournai vers lui, et, une flamme inhabituelle chatoyant mes iris grisée, je lança:

<<-Essaie si c'est ça qui t'amuse, gamin.>>

Une agréable ambiance de complicité s'insinua entre nous. Et, en mon for intérieur, mes organes et cellules me hurlaient de me perdre juste dans ses bras, de me reposer sous son odeur, de me laisser mourir avec sa présence.

Toc toc

Nous sursautâmes. Notre bulle de tranquillité implosa sous le simple bruit de phalanges tambourinant contre le bois mité de la porte. Je fis rapidement signe à Eren de se dissimuler dans un placard non loin, pendant que je me dirigeai vers la petite entrée, d'un pas las et clairement ennuyé.

Repoussant sur le côté le cache en fer du judas de la porte, j'aperçus une tignasse blonde, affreusement bien peignée, soulignant deux billes d'un bleu angélique.

Je me laissa tomber contre la porte, sourcils froncés. Plus irrité par le fait d'avoir été privé de ce moment intime avec mon imbécile de gamin, que de cette inattendue et indésirable visite. Dans un souffle déjà exténué des remontrances à venir, je lâcha:

<<-Putain, c'est Erwin.>>

Règle n°8: Considère-moi comme la seule personne que tu as en ce monde de merde.

🖤

🖤

(〜 ̄▽ ̄)〜🖤

You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: Jun 27, 2021 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

Faucheurs pourpresWhere stories live. Discover now