Chapitre I: Une atmosphère de fin des temps

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«Jour un de la dixième année après la guerre.» enregistre une voix féminine sur un petit appareil.

Le vent souffle, annonçant l'éveil d'une tempête.

«Arrivée sur Sjart il y a...» la jeune fille, tête dissimulée sous un large capuchon, sort une montre à gousset, presse un bouton et observe le cadran sombre dans lequel jubilent deux aiguilles «il y a environ une demi-heure.»

Le sable rouge qui jonche entièrement la planète s'élève dans des nuages de poussière. Forçant la voyageuse à s'équiper d'une paire de grosses lunettes protégeant ses yeux. Elle reprend son enregistreur et continue :

«Je me trouve à quelques centaines de mètres de la capitale. J'aperçois même le palais mais impossible de me déplacer avec les conditions météorologiques.»

Elle marque une pause. La tempête se lève et, bientôt, la vue qu'elle a sur la capitale se trouve obstruée par le brouillard que forme le sable soufflé. Elle avale sa salive et prend une grande inspiration avant de camoufler sa bouche avec son écharpe, s'empêchant de respirer la poussière. Puis, elle souffle faiblement, comme un murmure:

«Bonne année...»  dans son enregistreur avant de le ranger et de s'accroupir au sol, enfouissant sa tête dans ses genoux pour se protéger de la tempête.

Le bruit du vent s'estompe doucement alors qu'elle sent quelque chose tirer sur son capuchon. Elle relève la tête, ôte ses lunettes et voit un adorable renard du désert. Certainement un petit curieux qui n'a pas froid aux yeux. La voyageuse lui tend la main mais l'animal prend peur et s'enfuit. Elle se redresse, sort une petite arme à feu de la poche de son large manteau et vise dans la direction du renard. Une détonation retentit avant d'entendre des couinements. Elle s'avance vers sa proie qui agonise au sol, sort une lame rouillée et achève l'animal avant de le dépecer.

Traînant sa carcasse sur son épaule, elle marche en direction de la capitale de Sjart. La tempête s'étant calmée, le chemin se voit plus sûr. Elle ressort son enregistreur :

«J'entre enfin dans la capitale. Sans surprise, les rues sont désertes, comme toute cette planète.»

La jeune fille balaye du regard les maisons d'argiles formant une allée jusqu'au palais. Des petits animaux de rue fuient sur son passage tandis qu'on entend l'écho de ses pas résonner dans la ville fantôme.

La voyageuse grimpe chacune des larges marches montant jusqu'à la salle principale du palais. Pénétrant dans cette impressionnante structure, elle lève le nez au plafond pour en admirer les motifs : typiques de la culture Sjartienne. Rabaissant son menton, ses yeux tombent sur le trône poussiéreux. Elle presse à nouveau le bouton de son enregistreur :

«Le trône est toujours en place. On dirait que les années l'ont recouvert d'une sacrée couche de poussière.»

Elle époussette l'un des accoudoirs.

«Et une couche de sel s'est formée, à cause de la sécheresse.»

Elle prend sa petite lame pour gratter le sel. Jusqu'à ce qu'une lueur apparaisse. La jeune fille gratte la nouvelle couche du bout de sa lame :

«Merde. L'or ne vaut plus rien. Il s'effrite.» constata-t-elle dans son enregistreur.

Elle range sa lame et dépose la carcasse du renard au sol. Tournant sa tête vers une entrée proche du trône, elle s'y aventure : ce sont les anciens quartiers royaux. De grands lambeaux de vieilles tentures, autrefois serties d'or et de diamant, pendent au-dessus des grandes ouvertures qui servent de fenêtre. Le sol est jonché de déjection d'animaux et une odeur fétide la laisse penser que des cadavres doivent se trouver dans le coin. Elle veut  jeter un coup d'œil par la fenêtre mais son pied heurte un objet mou au sol qu'elle pince du bout de ses doigts pour l'observer : une peluche. Elle sourit mais déchante lorsqu'une énorme araignée sort de la peluche éventrée. D'un geste las, elle la jette très loin d'elle et s'approche de la fenêtre.

La vue sur tout le royaume de Sjart est prenante. Malgré les amas de sable qui recouvrent les rues anciennement pavées de briques ou encore les toits plats des maisons, cette ville la rend nostalgique.

«Tu vas pas commencer à pleurer quand même ?» questionna une voix masculine qui venait d'apparaître derrière la jeune fille.

Surprise, elle sursaute en se tournant vers la voix :

«Bordel, Spectra !»

Coiffé de ses deux cornes oranges et les mains sur les hanches, arborant un sourire fier, Spectra, le shiu, se tient devant elle. Elle le fusille du regard avant de céder et de lui sourire :

«T'en a mis du temps.» le sermonne-t-elle et venant l'enlacer.

«Quand je me fais attendre, ça me rend plus désirable.» plaisante-t-il en embrassant la jeune fille, la décoiffant de son capuchon.

«T'es vraiment bête.» lui souffle-t-elle entre leurs lèvres. «Allez viens, le souper est là.»

Le feu crépite, résonnant à travers toute la salle du trône. La nuit tombe lentement, laissant place à la fraîcheur nocturne de Sjart.

«T'as trouvé quelque chose de ton côté ?» demande-t-elle.

«Ces maisons ont dû être pillées bien avant la guerre. Y'avait rien d'autres que des petits os d'animaux. Et de ton côté ?»

«J'espérais que ce trône pourrit soit notre nouvelle mine d'or mais les ravages du temps sont passés avant nous.»

«Ils sont passés partout...» soupire le démon en retirant une brochette sur laquelle il avait plantée un morceau du renardeau.

Il était grillé à point. Il en arrache un bout avec ses dents :

«Décidément, y'a rien de bon à manger nulle part.» se plain-t-il.

«Notre prochaine destination, c'est le système prokicien. Il doit bien y avoir quelque chose à manger.» suppose-t-elle en prenant également l'une des brochettes.

«Dis Osh» l'interpelle le démon «ça te fait quoi de revenir sur ta planète natale, après toutes ces années ?»

Elle hausse les épaules :

«C'est...bizarre.»

Osh regarde le trône et soupire :

«Faut croire que c'était pas réellement mon destin d'être la prochaine souveraine de Sjart.»

Spectra la voit prendre un air triste. Il ne connait que trop bien ce visage. Il se dessine sur Osh lorsqu'elle part dans ses pensées. Soudain, il lui vient une idée pour lui redonner le sourire : il se lève, lui fait une révérence et lui tendant la main.

«Votre majesté, m'accorderiez-vous cette danse ?»

Elle lui sourit et prend cette main tendue. Ils commencent à danser une valse maladroite, sur une musique imaginaire. Une main tenant celle de Spectra et l'autre sur son épaule, Osh se laisse guider et vient coller son oreille contre la poitrine de son partenaire, écoutant son cœur danser au même rythme qu'eux. Une nouvelle tempête gronde dans le désert. La lumière de la pleine Lune en est obstruée, leur laissant le petit feu comme seul éclairage.

Esseulés sur une planète désertique, dans un système proche de celui de Néo-Prokis, Osh et Spectra s'efforcent d'oublier, l'espace d'un instant, que dans leur univers, il règnent une atmosphère de fin des temps.

Néo-Prokis VI: La fin des tempsWhere stories live. Discover now