Toujours Quelque Chose À Dire

Chapitre 6 : La Vieille Patel Et Son Cours Sur Le Débarquement

Il s'est passé quelque chose d'incroyable hier, alors il faut absolument que je le raconte avant de l'oublier.

Je m'ennuyais atrocement en histoire (rien de bien nouveau). La prof tentait tant bien que mal de nous expliquer le débarquement de sa voix chevrotante. Sujet déjà étudié l'année précédente et celle encore avant. C'est comme la chanson de Mariah Carey ou le cours sur la photosynthèse en SVT, on nous les ressort tous les ans, à peu près à la même période de l'année.

Pour tout vous dire, la prof elle même avait l'air de s'ennuyer sévère.

Megan me gonflait avec Cameron. Ils parlent depuis quelques jours par message et la veille il lui a envoyé un smiley cœur. On pourrait légitiment penser que ce genre d'anecdotes se raconte rapidement mais Megan avait réussit à tenir inexplicablement, déjà vingts minutes de cours sur cette histoire de smiley. Elle était assez contente. Pour tout vous dire elle était en train de me parler de robes de demoiselles de d'honneur, quelques secondes avant que la prof ne craque.

Personne n'avait vu le coup venir. Il faut dire que Madame Patel n'est pas vraiment quelqu'un de surprenant. Elle récite ses cours, toussote de temps à autre pour tenter de faire régner le calme ce qu'elle a besoin de faire assez rarement d'ailleurs, puisque ses cours soporifiques ont tendance à assommer quiconque l'entend parler plus de deux minutes d'affilé.

Elle me fait un peu penser à du tofu : molle et sans saveur.

Mais aujourd'hui, lorsqu'elle aperçu Quentin Lopez succomber à sa somnolence et s'endormir pour de bon, imitant de ce fait trois autres élèves avant lui, elle perdit patiente.

Elle lança son livre par terre, comme une enfant qui ferait un caprice dans un magasin de jouet et hurla d'une voix chevrotante, franchement ridicule :

- NON MAIS QU'EST CE QU'IL FAUT FAIRE POUR VOUS INTÉRESSER ?

Tout le monde dans la classe était abasourdi. Enfin ceux qui étaient encore réveillés je veux dire.

Luna en lâcha son surligneur avec lequel elle venait de finir de peindre ses ongles de pieds. Enfin seulement le pied droit. Il lui restait encore le gauche à faire.

Lou était terrifié, à en croire son regard, on aurait dit qu'elle avait peur que Patel sorte une mitraillette et la menace de la descendre si elle ne lui classait pas tous les rois français en fonction de leur ordre de succession au trône.

Mais je dois bien l'admettre, le spectacle avait quelque chose d'effrayant.

- JE ME TUE À VOUS ENSEIGNER MA MATIÈRE, À VOUS TRANSMETTRE AVEC PASSION L'HISTOIRE DE VOTRE PAYS ET VOUS, VOUS VOUS EN FOUTEZ COMPLÈTEMENT.
Quand je repense à la scène je trouve qu'elle exagérait un peu. Passion ce n'est pas le mot. Elle se contente de lire ses fiches mollement et de nous passer de temps en temps une video de secret d'histoire sur le rétroprojecteur, voilà tout. Rendons à César ce qui est à César comme dirait l'autre. Je ne plains pas, loin de là, j'adore Stéphane Berne mais quand même.

Lou eu l'air scandalisée d'entendre une prof utiliser une expression aussi grossière que "s'en foutre".

À vrai dire je comprends un peu cette pauvre Patel. Voilà des années que personne ne l'écoute en cours et au vu de son caractère j'imagine bien que ça doit être à peu près la même chose à la maison, si compté que quelqu'un l'y attende. Elle consacre ses journées à des petits merdeux qui préfére se raconter leur week end plutôt que de l'écouter et ce depuis au moins vingt ans si j'en crois les rides qui peuplent chaque années un peu plus son vieux front dégarni. Il y a de quoi craquer au bout d'un moment.

J'étais donc assez favorable à ce coup de gueule inattendu.

Et surtout pour la première fois en cours d'histoire, il y avait un tout petit peu d'ambiance et ça, ça n'a pas de prix.

Maintenant qu'elle avait commencé à gueuler, plus rien n'avait l'air de pouvoir l'arrêter. Quinze minute. C'est le temps qu'elle passa à hurler seule devant une horde de boutonneux médusés. C'était comme si tout ce qu'elle gardait pour elle depuis des années avait finit par rejaillir. Je me suis toujours dis qu'elle devrait consulter un thérapeute ou un psy mais je n'avais pas pensé que hurler ses malheurs à ses trente abrutis d'élèves pouvaient aussi être un bon moyen d'évacuer son stress.

Au bout de quinze minutes, elle s'arrêta aussi brusquement qu'elle avait commencé et puis, toujours sans prévenir, elle fondit en larme.

Voir un adulte pleurer, je trouve ça toujours super gênant. Surtout si l'adulte en question est ma prof d'histoire de soixante balais qui interrompt son cours sur le débarquement pour chouiner devant moi, sans même avoir la décence de me prévenir à l'avance.

Personne ne savait vraiment quoi faire, à part la regarder bêtement sans réagir, les bras ballants.

- Ça va m'dame ? a fini par lâcher Corentin, à l'autre bout de la classe.

De toute évidence non, mais la prof trouva quand même les forces de lui répondre un petit "oui oui" plaintif entre deux hoquets.

- Vous voulez un cookie ? a ensuite demandé Léa qui ne pense qu'à manger et doit aujourd'hui facilement atteindre le poid d'un bébé cachalot.

- Non.. Non c'est bon. hoqueta la pauvre Patel, toute chamboulée.

Nathalie, qui sait tout et n'hésite pas à le faire savoir à qui veut l'entendre, et aussi à ceux qui n'ont rien demandé d'ailleurs, se leva et donna de petites tapes qu'elle voulais sans doute bienveillante dans le dos de la pauvre vieille.

Bientôt, une dizaine d'élèves l'imitait et choisissait une partie du corps à tapoter.

Si quelqu'un entrait dans la classe à ce moment précis, il aurait vu une dizaine d'élèves aglutiné autour de leur vieille prof d'histoire, en train de tapoter mollement, un bras ou encore une épaule, le tout entrecoupé de temps en temps de petites remarques style : "voilà voilà", "tout va bien", "pleurez pas m'dame, on va l'écouter votre machin sur le général de la gaule", "de Gaulle abruti"...

La scène était assez irréelle. Si on m'avait dit un jour que je me retrouverais à donner de petites tapes bienveillantes dans le bras mou de ma veille prof d'histoire je pense que je serais encore en train de rire.

Megan a côté de moi, qui s'occupait de l'épaule droite me regardait avec un air qui semblait dire "mon dieu mais qu'est ce que je fous là ?". Finalement cette expression résumait plutôt bien celle de tous les autres élèves.

Au bout d'un moment, la prof arrêta de pleurer alors tout le monde arrêta de la tapoter et on lui rendit son livre qui était écrasé depuis une bonne demi-heure sur le sol.

Il était trop tard pour continuer le cours et de toute façon plus personne n'en avait vraiment envie. Avant non plus, qu'on soit clair mais maintenant, en plus d'être désintéressé on était tous assez gêné. La prof avec. À la place elle décida de nous passer une vidéo de Secret d'histoire sur Versailles et les courtisans de la cour du roi soleil.

C'était la dernière fois qu'on voyait cette bonne vieille Patel.

Le lendemain (c'est à dire aujourd'hui) le directeur est venu nous annoncer qu'on aurait désormais une remplaçante et que Patel avait pris sa retraite. Il nous a aussi rapporté qu'elle avait qualifié notre classe "d'étonnants énergumènes peu intéressé par l'histoire mais néanmoins de bons gamins".

Elle va me manquer cette veille Patel. On peut bien dire ce qu'on veut, d'accord elle était inintéressante, mais néanmoins reconnaissante et ça, je tâcherais de ne pas l'oublier. Même si son bras était mou.