Séance 1

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- Est-ce que vous le faisiez pour être aimée ?

Tu regardes l'horloge comme tu le fais à chaque fois, t'es beaucoup plus maligne que ce gars-là. Ça fait un moment maintenant que tu mènes ton monde en bateau et que personne n'y comprend rien, c'est pas un psy qui va changer ça. T'es fatiguée d'essayer de comprendre leurs simagrées, fatiguée d'adhérer à ce système pété. C'est pas toi qui ment, c'est tous les autres. Tous ceux qui prétendent vouloir le calme, tous ceux qui disent rejeter la souffrance, tous ceux qui veulent la loyauté. Toi, tu sais très bien.

Ils adorent ça. Ils m'adorent.

- Non.

Il est trois heures de l'après-midi et ça fait deux mois que t'es coincée là. T'en peux plus, tu veux juste t'en aller et recommencer. C'est devenue une drogue, t'y penses tout le temps. Même à lui, t'as envie de lui mentir.

Ce serait si simple.

Parce que tu mens si bien et parce qu'ils aiment tellement t'écouter le faire. Parce que t'as l'air si différente du reste du monde, à mille lieux au-dessus. T'es au-dessus des mortels, quasiment divine à tes propres yeux. Tu réécris la réalité et personne ne peut t'en empêcher, tu t'en fous que ça prenne des mesures disproportionnées. Tu t'en fous de faire mal, au moins tu laisses ta trace. Le psy qui te regarde avec son air vide pose ses lunettes sur la table, il est fatigué. Fatigué de toi. Il a peut-être déjà vu une centaine de fous furieux depuis le début de la journée, tu lui facilites pas la tâche.

- Julie, vous savez que c'est pour votre bien. 

- Mirage.

Pas Julie, Mirage. Tu t'appelles pas Julie, c'est trop commun, c'est pas toi. Toi, tu es Mirage. Tu es insaisissable, incompréhensible, oasis dans le désert pour tous ces malheureux assoiffés.

- Julie, si vous ne le faites pas pour votre bien, faites le pour sortir d'ici.

Il m'agace.

Mais cette fois, il a ton attention. Sortir, c'est lui qui a les clés. C'est lui qui donnera le feu vert. Lui qui peut te faire sortir d'ici. Quand tu seras guéris. Quand tu iras mieux. Quand tu auras pleuré toutes les larmes de ton corps en disant que tu regrettes et que t'es désolée et que t'aimerais changer et que tu prendras leurs médocs. Mais c'est pas vrai et pour cette fois, seulement cette fois :

Je refuse de mentir.

Alors t'attends, tu sais même pas ce que t'attends. Qu'il finisse par se lasser sûrement. Pourtant tu pourrais le faire, t'as le meilleur profil pour lui inspirer de la pitié, pour lui faire voir une fausse réalité. Mais tu veux pas parce que pour toi, t'as rien à faire là. Pour toi c'est pas une maladie, c'est un don.

- Je ne le faisais pas pour être aimée, je le faisais pour être spéciale. Et je recommencerai.

T'es tellement sûre de toi, t'es tellement belle dans ton audace qu'il y a sûrement une part de lui qui est d'accord avec toi. Qui comprend ce que tu veux dire. Il y a une lueur dans ses yeux, t'arrives pas encore à savoir laquelle mais elle te donne une idée.

- Spéciale. Vous détestez à ce point la banalité ?

Hochement de tête, affirmative. Tu regardes tes ongles qui ont beaucoup trop poussé, ils refusent de laisser approcher un objet coupant après ce que t'as fait. Dommage. 

- Oui, je la déteste.

Tu te fais violence pour pas lever les yeux au ciel, n'est-ce-pas ? Pourtant t'es quand même surprise qu'il fasse pas semblant de s'indigner de ton manque de culpabilité. Mais tu sais, tu sais qu'il n'est pas si idiot que ça. T'as fini de t'en vouloir pour ce que tu es, t'as déjà essayé de changer et t'as renoncé. T'as trouvé du pouvoir dans tes démons, ça te maintient en vie, c'est devenu ton addiction.

Derrière les masquesWhere stories live. Discover now