Séance 4

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- Ça vous convient ?

La pièce a une atmosphère différente le soir. Les carnets, les stylos, l'habituel journal un peu froissé ont été chassés pour l'occasion. Il y a une bougie qui produit une lumière agréable, la pièce reste malgré ça pauvre en éclairage. La lampe près de la fenêtre produit des rayons chauds et quelques sons parviennent de l'extérieur. Il ne fait pas nuit mais presque. Il a déplacé ton rendez-vous au plus tard rien que pour avoir l'occasion de mordre dans un de tes mensonges. Il s'en rend pas compte mais il est le seul à avoir cette chance pour l'instant, ce sera sûrement le seul à l'avenir. La question te fait sourire, il cherche même plus à percer le mystère que tu es. Il est juste nerveux, il doit même pas savoir pourquoi. T'as la sensation que les choses vont s'accélérer ce soir, c'est juste que tu sais pas encore comment. Le pire c'est que t'as pas eu à faire grand chose, t'as pas eu à parler beaucoup. C'est ton regard, ton parfum et toute l'aura qu'il y a autour de toi qui a fait le boulot.

Pauvre de lui. 

Sauf que tu le plains pas, presque pas. Y a des jours où tu penses à nous d'une manière différente. Tu sais, ces jours-là où tu te dis que tu vas tout arrêter. Ces jours où tu chiales dans ton lit en te disant que t'es un monstre de nous mentir comme ça, de te servir de nous pour te mettre en valeur, pour soulager toutes ces envies de quelque chose de différent, pour te libérer des histoires qui traînent dans ta tête. Plus ça va, plus ces jours sont rares.

- Oui, c'est parfait.

Il est dix-huit heures, pas vraiment l'heure de diner mais t'as rien mangé de la journée et la bouffe chinoise qu'il a posé sur le bureau sent merveilleusement bon. Ça fait un moment que tu te nourris avec les plateaux repas qu'on te jette à la gueule comme si tu risquais de mordre, chien enragé que t'es. Pourtant t'es toujours calme, t'es toujours charmante, c'est à rien n'y comprendre.

Moi, je comprends.

Ouais, on t'a fait le coup toute ta vie. La folie, peu importe la forme qu'elle prend, ça fait peur. Les gens l'approchent toujours avec crainte, ils veulent pas l'attraper, ils veulent pas être blessé. Tu peux pas leur en vouloir mais tu le fais quand même, parce que t'as jamais demandé à être comme ça et t'as longtemps lutté avant de céder comme tu le fais.

- On peut peut-être se tutoyer, non ?

Tu vois encore une fois passer le doute dans ses yeux, il sait qu'il est en train de faire une connerie et qu'aucune séance chez un psy ne devrait se passer comme celle-là. Il continue à se dire que t'es un cas trop complexe pour être traité de manière conventionnelle, que c'est pour ça qu'il ose s'égarer un peu. Mais c'est pas vrai. Je te l'ai dit, il doit penser qu'à ça. Te revoir. Te reparler. Se laisser emporter. T'es un poison mais on crève d'envie de te siroter.

- On peut, en effet.

Il te fait signe de t'asseoir, tripote sa montre. C'est son tic de nervosité, tu l'as très vite repéré. Toi t'es pas nerveuse, tu t'installes, t'ouvres les récipients, tu commences même à te servir dans les assiettes en carton. C'est pas l'idéal c'est sûr mais tu sais très bien comment faire oublier un contexte, un cadre. Tout ça, ça ne compte pas. Il suffit pas de grand chose pour ensorceler les gens, pour créer un peu de magie et la saupoudrer sur un moment. Il en faut pas beaucoup c'est juste que personne ne s'en donne la peine.

- Ça a l'air super bon, ça m'arrange parce que j'ai pas eu l'occasion de déjeuner. Tu trouves pas que les gens sont maussades en ce moment ? Ça doit être le temps. En général, le mois de septembre rend tout le monde si déprimant.

Et t'en sais quelque chose, t'as essayé de faire partie de cette société suffisamment longtemps pour en connaitre un rayon sur la morosité. Mais c'est pas le sujet, t'en as rien à foutre des gens et de leur dépression. Tu brises seulement la glace et y en a beaucoup plus que d'habitude. Et puis d'un coup, t'arrêtes de te jeter sur tes nouilles chinoises comme si ta vie en dépendait. Tu cherches son regard légèrement interloqué en terminant de mâcher, tu cherches son âme. Tu lui dis :

Derrière les masquesWhere stories live. Discover now