Séance 3

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- Est-ce que vous souffrez ?

Tu soupires. Audiblement, c'est fait pour qu'il entende. Les minutes continuent de claquer et d'étrangler tes pensées dans l'horloge accrochée juste à côté. Si tu le pouvais, tu la décrocherais et en arracherais les piles avec toute la hargne dont t'es capable. Tu détestes ce bruit, ça t'empêche littéralement de réfléchir. Tu comprends pas comment les autres font pour l'ignorer, toi ça te donne envie de hurler sans jamais t'arrêter. Est-ce que tu souffres, en voilà une autre question à dix mille balles. Tu pensais qu'il te foutrait la paix avec ça mais en réalité il continue à s'acharner, veut absolument décortiquer ton lobe frontal à sa manière. Ça implique d'essayer d'obtenir des réponses sincères de toi, autant dire qu'il perd son temps.

- On souffre tous un peu, non ?

Il te regarde de cette même façon, celle qui montre qu'il réfléchit sérieusement à ton cas. Toujours cette même façon de te regarder. Ce qui est sûr, c'est que tu souffres d'être ici. Tu souffres déjà de la banalité quotidiennement quand tu es libre mais dans cet endroit ? Tout est multiplié par mille. C'est toujours la même bouffe, toujours les mêmes gueules, toujours ce même psy avec son regard intelligent et toujours ses mêmes questions débiles. Tu le regardes avachie dans ton siège, une jambe presque à l'extérieur. T'as des airs de royauté même quand tu devrais plus rien avoir en commun avec un monarque, tu le sais. Ça fait ton charme cette arrogance, c'est drôle que tu l'utilises jamais pour mentir à tes proies.

Pions. 

Proies, pions, c'est la même chose. Drôle que tu te serves pas de ton physique et de ce qui t'appartient naturellement pour nous séduire. La plupart du temps tu restes derrière un écran, à moins que je ne sois pas au courant de tout ?

C'est plus facile comme ça.

Ça t'aide peut-être à ne pas t'attacher. C'est plus facile de partir et de trahir, peut-être. Qu'est-ce que j'en sais après tout, t'es trop tordue pour les gens normaux. C'est sûrement ce que ce psy finira par comprendre, à force de se faire des nœuds au cerveau sur ton cas. Il se désintéressera.

- Je ne parle pas du reste du monde, seulement de vous.

Ça sous-entend que tu n'es pas comme le reste du monde et instantanément, ça te fait rêver d'entendre un truc pareil. Spéciale. T'as toujours voulu être spéciale, peu importe dans quel sens du terme. C'est pas grave si t'es spéciale sur les tapis rouges ou dans la rubrique faits divers, ce qui importe c'est de ne pas vivre la même monotonie que les autres. Tous les jours c'est une aventure à tes côtés, t'es assez fière de ça.

- Il y a toujours une part de souffrance. Parce qu'on est seul et qu'on aime ça autant qu'on le déteste. On cherche toujours à être accompagné dans ce qu'on vit mais on se rend très vite compte que personne ne comprend.

T'as été de déception en déception, c'est vrai. Quand tu pensais être assez proche des gens et qu'ils découvraient qui t'étais, t'as souvent eu la sensation d'un couteau planté dans le dos. Tout le monde fuit ou tout le monde pointe du doigt quand ils apprennent. C'est comme ça, tout le temps. Te cacher derrière un personnage c'est aussi plus facile pour ça, au moins personne ne peut te juger pour qui tu es vraiment. Au fond, t'es tellement fragile.

Non.

Si, tellement fragile que t'arrives même pas à affronter le monde extérieur. Ça fait trop mal de te prendre les rayons du soleil dans la gueule et de découvrir que t'es rien d'autre qu'une paumée que personne ne peut saquer. Que t'es admirée uniquement par des gens eux mêmes perdus, des gens qui savent plus à qui se raccrocher. Tu tapes dans le plus vulnérable de nos sociétés parce que...

Derrière les masquesOnde histórias criam vida. Descubra agora