Derrière les masques

Séance 5

- Est-ce que tout ça en valait la peine ?

Tout ça, ça a trop duré.

Tu te souviens alors brutalement des jours ou tu te sentais si seule que tu pensais que t'allais crever. C'est puissant comme sentiment parce qu'en vérité, on pense pas souvent qu'on meurt de solitude. Mais toi, toi tu l'as senti t'approcher quand tu passais tes journées dans ta chambre, le nez en l'air à regarder passer les nuages. T'avais rien de la manipulatrice que t'es aujourd'hui à cette époque-là, tu te souviens ?

Oui.

T'as toujours été moqué pour ce que tu es. Ça a commencé très jeune et ça s'est jamais vraiment arrêté. Parce qu'une gamine qui raconte des conneries c'est louche mais pas forcément inquiétant. Personne ne s'est donné la peine de détecter ton problème et toi, tu pouvais pas t'en empêcher. Mentir c'est une seconde nature chez toi, et je te parle pas de petits mensonges par omission. Je te parle des grandes scènes de théâtre que tu orchestres d'une main de maître. Tout ça, ça a commencé très tôt. Le pire dans tout ça, c'étaient les yeux de tes parents quand ils étaient encore appelés à l'école parce que t'avais encore fait n'importe quoi. Au début c'était la confusion, après ils avaient dans les prunelles ce "qu'est-ce que t'as encore dit cette fois ?" qui te donnait vraiment envie de t'en aller. De fuir d'ici au plus vite. Pourtant ils ont rien fait de mal, t'as jamais été battue. T'as jamais été violée. T'as jamais vraiment souffert en vérité, les gens aiment bien expliquer les troubles mentaux avec des traumatismes. C'est pas ton cas. Toi t'es simplement née comme ça. Et toi, toi y a cette question qui n'arrête pas de t'obséder et laquelle tu ne parviens jamais à répondre c'est :

- Est-ce que j'avais vraiment le choix ?

Si t'es née comme ça, c'est peut-être que c'est naturel ? Après tout ils font pas que du mal tes mensonges, ils en aident certains. Ils en font plonger d'autres. Ça aussi c'est naturel, non ? Rien n'est jamais tout blanc ou tout noir, il n'y a que des nuances grisâtres dégueulasses. Toi, t'as fait ce que t'as pu. T'as lutté aussi longtemps que tu le pouvais avant de succomber à l'appel de l'anonymat, avant de disparaitre pour de bon.

C'est ce qu'ils voulaient.

Et c'est ce que tu leur as donné presque sans regret. T'as abandonné la fille que t'étais pour Mirage mais cette fois, elle t'a rattrapé. Elle a couru plus vite que toi, tic tac tic tac, le karma tardera pas. Ta punition, c'est la honte qui te colle à la peau à chaque fois que tu te fais prendre la main dans le sac. Flagrant délit de mensonge à langue acérée.

- Je ne sais pas. Peut-être pas.

T'as bouleversé son monde, foutu un grand coup de pied dedans. Et maintenant ? Qu'est-ce qu'il fait le pauvre ? Il devrait pas te laisser sortir, pas vrai ? Puisqu'après tout, t'es toujours dingue. Sauf qu'il y pense, tu le sais. Il y pense sérieusement. Toi tu te contentes de le regarder du fond de ta chaise, t'es plus aussi fière qu'avant depuis qu'il t'a rappelé qu'il savait.

- J'ai seulement peur que vous fassiez du mal à d'autres.

Ouille, ça pique. Tu te prends la droite dans l'épaule mais tu restes sur le ring, tu bouges pas. Ton regard se durcit un peu.

- Surtout à vous, en vérité.

C'est drôle cette manie qu'on les gens de la foutre partout, celle-là. En vérité. En vrai. Véritablement. C'est si important ? Est-ce que c'est vraiment si important ?

Non.

Pour moi ça l'était. Pour d'autres ça l'est. Pour tellement de gens, tellement de gens. Mais des fois je me dis que tu as raison, au final. J'aurais peut-être pas dû chercher à percer le mystère que t'étais. La vérité c'est qu'un concept, ça n'existe jamais pour de vrai. Il y en a beaucoup et des fois pas du tout.