Chapitre 21, Partie 1

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En quelques secondes, j'envisage une centaine de scénarios, tournant tous autour de cette question essentielle : serais-je capable de tuer Aaron ?

Je le déteste de me demander de choisir entre le cœur et la raison. Je lui en veux d'avoir su tailler une brèche dans mon blindage, et je m'en veux de lui avoir offert ma confiance avec la certitude qu'il la méritait.

À peine sorti, Aaron s'arrête et se retourne pour me faire face. Mon arme est maintenant pointée sur son torse.

— Ne joue pas avec moi, Aaron, je l'avertis, en soupirant.

— Tu ne comprends pas. Donne-moi encore une dernière chance s'il te plait. J'ai tellement de choses à t'expliquer.

Sa remarque me fait partir au quart de tour.

— Des chances, tu en as eu des milliers ! Du jour où je t'ai laissé me convaincre que tu n'étais pas un Vampire jusqu'à avant-hier, en acceptant ce dîner idiot ! Comment as-tu osé me regarder dans les yeux et m'affirmer que tu n'étais pas l'un de ces monstres ? Tu as tout gâché, Aaron. Bon Dieu, qu'est-ce qui m'a pris de te faire confiance ? Comment ai-je pu être aussi bête, aussi aveuglée par tout ce mystère qui t'entoure ?

Il me dévisage sans un mot, tandis que je laisse exploser ma rage. Nous nous confrontons quelques secondes. Puis, d'un léger mouvement de tête, je lui ordonne de se retourner, et d'avancer. De dos, il lui est impossible de voir que ma fureur se tarit seconde après seconde. Je ne contrôle plus rien, et ma peine reprend le dessus. Je ne suis pas faite pour la haine. Ces semaines auprès de lui pèsent trop lourd dans la balance, et je suis las de jouer au fuis-moi je te suis. Lui en vouloir, le pointer de mon arme, tout cela est bien plus dur que ce que j'aurais pu imaginer. Au fond de moi, je sais que je n'aurais jamais la force ni le courage de tirer.

Que faire, alors ? Nier l'évidence, enregistrée là, dans la carte mémoire de son portable ? Nier l'évidence, l'attirance que je ressens pour lui ?

Nous arrivons devant la voiture. Il s'arrête. Puis, alors que je pense qu'il va me supplier une nouvelle fois, il se retourne lentement. Il plonge ses yeux dans les miens. Son visage est de nouveau calme.

D'une main, il empoigne le canon de mon pistolet. Ma détermination faiblit.

— Lâche cette arme, j'ordonne quand même, d'une voix tremblante.

— Non, cette fois écoute-moi. Après, je te laisserai faire ce que bon te semble. Tout ceci n'est qu'un énorme malentendu. Je ne suis pas un Vampire. Et je suis complètement fou de toi.

Mon cœur vacille. La main sur mon pistolet faiblit.

— J'ai essayé de me convaincre du contraire, pour ta sécurité. J'ai essayé de te repousser. Mais depuis le premier jour, Amber, c'était évident. Je ne pouvais pas faire autrement, alors j'ai cessé de combattre ce que je ressentais. Te vouloir auprès de moi est l'idée la plus déraisonnable et la plus stupide que j'aurais pu avoir, et je suis idiot, et sûrement dangereux, et j'en suis sincèrement désolé, mais je...

— S'il te plait, Aaron...

— Mais je t'aime, Amberly Johnson.

Et sans me laisser le temps de réfléchir à ses paroles, il m'embrasse passionnément. Ses doigts s'emmêlent dans mes boucles, son autre main se cale au bas de mon dos, il me presse contre lui. Ses lèvres sont avides, sauvages, et terriblement douces. Ses gestes désespérés : il s'accroche à une bouée de sauvetage en plein naufrage. Une explosion de plaisir traverse ma poitrine et mon cerveau, je m'embrase, le temps s'arrête, plus rien ne compte. Mon corps se tend vers lui coûte que coûte, indépendamment de ma volonté. Je lui rends alors son baiser et me colle davantage à lui, tandis que mes bras passent autour de son cou, sentant son cœur, ou le mien, battre à la chamade.

Sans mesurer la puissance de ma pensée, ce qu'elle implique, ce qui va nous arriver maintenant, le danger dans lequel je me mets, l'évidence s'offre à moi. Telle une promesse magnifique et terrible à la fois. Je suis irrémédiablement amoureuse d'Aaron Moore.

— Ne t'éloigne pas de moi, il murmure entre deux baisers.

Comment lutter ? Je sens son souffle contre mes lèvres, plus proche de lui que je ne l'ai jamais été.

Incapable de répondre, je prolonge notre étreinte encore quelques instants. Mon cœur cogne contre ma poitrine avec force. Dans ma main, l'arme ne pèse pas plus lourd qu'une plume. Devant mon silence, il se recule de quelques centimètres, et accroche mon regard intensément, de ses prunelles de granit.

— Tu vas me livrer au Centre ?

Je secoue la tête. Je ne suis plus sûre de rien, ni de moi, ni de personne, seulement de la sincérité de ce baiser.

— Non..., je réponds, hésitante.

— Non, tu ne le feras pas.

Ses yeux sont envoûtants. Je me laisse guider par ses paroles, comme le serpent endort la méfiance de ses proies. Sauf que le serpent est Aaron, qu'il occupe toutes mes pensées, et qu'il est l'homme le plus stupéfiant que j'ai jamais rencontré.

— Je suis désolé, Amber. Sincèrement désolé. N'aie pas peur de moi.

Je secoue la tête.

— Qui es-tu ?

— S'il te plait, laisse-moi te raccompagner. Je te promets que cette fois, je t'expliquerai tout.

Il semble hésiter, puis pose ses mains sur mes joues, comme si j'étais un joyau précieux et fragile.

— Fais-moi confiance.

Je prends une grande inspiration. Clos mes paupières pour ne plus voir son visage renversant, et pouvoir réfléchir avec lucidité. Ses doigts descendent sur ma taille et je suis à nouveau happée vers lui. Je l'imagine attendre ma réponse, attendre que je décide si je suis avec lui, ou contre lui. Je veux le croire. Pour la simple et bonne raison que je ne peux pas faire autrement.

Une fois de plus, ce sont mes intuitions qui l'emportent sur ma raison, et je hoche la tête.

— Allons-y.

Puis, interceptant son sourire soulagé.

— Ne gâche pas cette chance, s'il te plait.

— C'est promis.

Les ChasseursWhere stories live. Discover now