Ultraviolet - (L&V) T.3

Chapitre 8 (suite)

Charlotte tournait, riant, chantant, la main dans celle de Leï. Pour l'occasion, elle avait détaché ses longs cheveux blonds et avait conservé sa tenue de danse, tout comme son partenaire. La musique changea et ils se figèrent. Charlotte éclata de rire quand l'ancienne sonnerie de téléphone de Leï retentit dans la salle. Sa joie à peine perceptible parmi le flot de danseurs au centre de la piste. Leï voyait bien comme plusieurs d'entre eux la cherchaient du regard. Mais elle n'avait d'yeux que pour lui, occupée à l'entrainer dans la bonne humeur.

Lorsqu'elle effectua les premiers pas d'un mambo, Leï pencha la tête, l'interrogeant du regard. Sûre d'elle, Charlotte se mit à tournoyer autour de lui. Son audace lui arracha un sourire. Beaucoup s'étaient arrêtés de danser pour les observer. Quand elle revint presque face à lui, il lui attrapa la main et l'attira brusquement à lui. À partir de ce geste, elle accepta de se laisser guider. Et dans ces moments, ni elle ni Leï n'existaient plus. Simplement deux corps qui communiquaient sur ce que l'humain avait créé de plus pur selon elle : la musique.

Ils ne voyaient même pas la foule, s'accrochaient l'un à l'autre par la main, l'épaule, la hanche. La soirée était déjà bien entamée, la salle bercée de rires, danses et boissons. Leï emporta sa partenaire dans les airs et Charlotte le laissa faire. La confiance surpassait la surprise, et elle vibrait, la grâce soulignée par la force de Leï. Elle atterrit derrière lui et, d'un sourire coquin, alors qu'il tournait la tête vers elle, la cherchant du regard, elle souleva son débardeur.

Vicky manqua de laisser échapper sa pâtisserie quand son attention se perdit sur le dos de Leï. Le dessus du maillot le cachait un peu, mais il devinait l'ombre d'un corbeau tatoué sur toute la partie haute du dos. Ses ailes se déployaient jusque sur les côtés. Il n'en voyait pas le bout non plus.

Il s'attendait à ce que Leï éclate de fureur, humilié d'être mis à nu, mais ce dernier pencha la nuque, secoué d'un rire. Il se retourna et saisit les mains de Charlotte. Le débardeur retomba, mais ses larges échancrures laissaient toujours apparaître le deuxième tatouage que Vicky avait eu le temps d'apercevoir au bar.

Tout à coup, Vicky eut de nouveau quinze ans. Il redécouvrait Leï, l'admirait tandis que son corps épousait le rythme de la musique. Il tenta de repousser cette stupide sensation, celle qui écartait le monde au bord duquel ils ne se tenaient plus que tous les deux ; mais les yeux rivés sur le petit hippocampe noir, il n'y parvint pas. La mélodie roulait dans l'air, salve inlassable d'émotions contradictoires, et Leï continuait de danser. Hypnotisé, Vicky s'attarda sur ce corps qui se mouvait parfaitement, sur ces hanches qui semblaient échapper à toute raideur.

La gêne se coula en lui aussi délicieusement que l'envie. Bouche entrouverte, Leï suivait les notes, tournait, ondulait. Ses membres s'entrelaçaient parmi les accords, en caressaient les saveurs invisibles pour former un noueux duo que Vicky jalousait presque. L'air lui parut tout à coup trop lourd, la salle trop pleine.

Toutefois, il ne bougea pas. Il aurait pu demeurer là, à l'observer pendant toute la vie qui lui était impartie. Il se rendit compte à quel point sa présence, sa musique, et ses sourires lui avaient manqué, oubliant tout de la colère qui le ruinait quelque temps plus tôt. Parce que Leï souriait en dansant, et Vicky jura qu'il n'avait jamais rien aperçu de plus pur.

Il aurait pu rester à le couver du regard, ombre invisible dans sa vie, mais peu lui importait, tant qu'il pouvait le voir vivre. Leï embrasait les lieux, donnait envie de tout oublier, de s'abandonner à la danse comme lui. Il en encourageait d'ailleurs plusieurs ainsi, qui sortirent du cercle formé autour de lui et Charlotte, et bientôt la salle se déchaîna de nouveau.

Vicky ne reconnaissait presque rien en lui de l'adolescent qu'il avait laissé derrière lui.

Regarde-toi, Leï Landry... Peu importe que tu me détestes, j'espère que tu t'aimes maintenant...