tourbillon

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Je saurais pas vraiment dire à quel moment ça a commencé ; mais je me souviens de l'instant où je m'en suis rendue compte.

Il devait être minuit passé, je venais de combattre mon anxiété sociale sur un coup de tête pour aller chercher une bouteille, bouteille que j'avais vidée de moitié entre son achat et mon retour à l'appartement.

Je m'étais écroulée sur le matelas à même le sol glacé, à côté des deux tourtereaux qui se faisaient des léchouilles sur mon canapé, on était tous les trois éclairés par la lueur bleue de la télévision. Je m'étais mise à pleurer.
J'étais ivre et, pour la première fois depuis un moment, j'avais l'impression d'être lucide. Je me rendais enfin compte de tout ce qui se passait autour de moi, les rues humides et les lumières de la ville ne me faisaient plus peur, ces gens que je connaissais à peine étaient chez moi, j'étais enfin maître de moi-même et c'était bizarre, tout était bizarre.
Avant je ne faisais rien, et là, je faisais des choses.
Ce n'était que le début.

Durant le mois qui a suivi, je me suis remise à boire assez souvent, pour retrouver cette lucidité, essayer de comprendre et de donner du sens aux événements qui se déroulaient autour de moi, ces événements dont j'étais à la fois spectatrice, actrice et parfois même réalisatrice, et pour m'endormir plus vite.
Je n'ai pas beaucoup dormi, ni beaucoup compris, mais ça faisait comme une marque dans le temps.
Et je suis partie.

Pendant la journée, le temps semble passer au ralenti, j'entends les tic-tac de l'horloge, une minute prend une heure à s'écouler ; les pensées s'entremêlent et prennent de l'ampleur, je me sens fébrile, lourde, malade.
Parfois les occasions se présentent alors que le soleil est encore haut dans le ciel ; je me contente d'accepter l'invitation, puis je me laisse porter, emporter par le courant, emporter par la foule, tout en étant consciente que mes pensées continuent de se bousculer dans ma tête, j'essaie de les ignorer.

Et quand vient le soir, tout change. Le liquide est sucré, doux, il est traître. La bouteille est presque vide, j'enfile mes chaussures, je sors.
Le vent glacial m'enveloppe le visage et les gens sont par milliers dans les rues.
Même les lumières de la ville sont différentes, ici.

Je me rends compte que d'une ville à une autre, il y a toujours tout à découvrir, pour tout apprendre, pour tout connaître. Ça m'énerve, parce que j'en ai marre de devoir tout reprendre à zéro chaque fois que je pars à l'aventure.
Puis je me dis que c'est peut-être ça, le principe ; aller de ville en ville, parcourir le monde, pour atterrir dans un endroit où tu n'as encore rien appris mais où étrangement tu connais déjà tout, parce que c'est ici qu'est ta place.
Les visages sont flous, les rues escarpées, je souris.

Le lendemain, une amie arrive et une deuxième bouteille se vide. Cette fois c'est pas pareil, c'est festif.
Ivres, on décide d'aller chez elle, on prend le tram une fois la nuit tombée.
Dans son appartement, on cuisine une omelette.
La boisson fait toujours son effet, tous mes sens sont en éveil, mon amie rit, je réalise que je suis amoureuse de son coloc'.

Elle va se coucher, lui sort.
Je décide d'attendre son retour pour discuter avec lui, l'alcool s'estompe, je me retrouve seule avec mes pensées, j'entends de nouveau les tic-tac de l'horloge.
Après quatre heures d'attente, toujours personne. Alors je lui écris un mot sur une feuille, un mot dans lequel je lui avoue qu'il me plaît, et je le glisse dans sa chambre avant d'aller me coucher à mon tour.

Vers cinq heures du matin, je me réveille en l'entendant rentrer.
Je fais semblant de dormir et, depuis le salon, j'entends le bruit de la feuille de papier entre ses mains, je comprends qu'il lit mon mot.
Mon cœur bat la chamade, il a lu mes messages, il sait qu'il me plaît, il est à quelques mètres de moi mais je suis paralysée.

Il va se coucher, je me rendors.
Le lendemain matin, je rentre en fraudant.
Je me retrouve complètement seule et sans aucune nouvelle.
Je sors fumer une clope sur le balcon, et, assise sur la chaise pliante, je me baisse pour coller mon front sur un des barreaux glacés de la rambarde.

Je suis sobre et la vie est un tourbillon de bizarreries sans fin, un rêve dont on ne se réveille jamais.

Il fait froid mais je devine le soleil, caché quelque part derrière les immeubles.

Je finis par me demander si je suis vraiment actrice de ma vie, ou simplement spectatrice de mes pulsions.

À cette allure, serai-je toujours en vie d'ici la fin de l'année, ou bien est-ce que l'hiver aura raison de moi ?

chifoumiWhere stories live. Discover now