gamine

19 2 2
                                    


Avant, je me posais beaucoup de questions.

Je le sais parce que je me souviens que les gens me disaient toujours d'arrêter de réfléchir, et pourtant c'était plus fort que moi, je pouvais pas m'en empêcher, et "qu'est-ce que", et "comment", et "pourquoi".

Surtout "pourquoi".

Maintenant, je me pose plus tellement de questions, tu sais ! Et ça fait plaisir à mes proches, parce que je souris beaucoup, et que je fais des choses dont j'étais incapable avant.

Par exemple, maintenant, je peux sortir de chez moi sans faire de crises d'angoisse ; et aussi, j'ai plus peur de ce que les gens peuvent penser de moi, j'en ai plus peur parce que je m'en fiche ! Ils peuvent bien penser ce qu'ils veulent, même que je suis nulle si ça leur chante, moi je sais que c'est faux, je sais que j'ai de la valeur, et même que je mérite de recevoir de l'amour moi aussi.

T'as vu comme j'ai changé depuis tout ce temps ! J'ai enfin compris que tout ce que je croyais depuis que je suis petite était faux ! C'est génial, pas vrai ?

Je deviens enfin une fille normale et c'est super.

Tout est super de toute façon.


Tout est super hein, la vie est belle, le soleil brille, les oiseaux chantent, et je m'aime, et je m'adore, et tout va bien jusqu'à ce que je tombe à court de médicaments et que je réalise que, putain, depuis le début, ce sont eux qui font tout.

Je pensais avoir changé mais la vérité c'est que je suis toujours la même. La gamine de quatorze ans qui chouinait en sport et mourait pour l'attention des autres, elle n'est jamais partie, elle est toujours là, planquée derrière les antidépresseurs, et moi j'ai pas changé, j'ai pas grandi.

J'ai rien donné, tout ce que j'ai fait, c'est gober des comprimés, regarder le temps passer et faire semblant.


Il y a deux ans, j'ai écrit un truc dans lequel je disais : "J'apprends des leçons que je finis par oublier, et chaque fois que je commence à aller mieux, je ne sais rien faire d'autre que me saboter moi-même. Je ne change pas. Je ne change pas et je n'apprends jamais rien."

J'ai écrit ça quand j'ai appris que mon meilleur ami était mort.

Et puis après, j'ai eu envie de changer, de devenir quelqu'un de bien pour de vrai, en me disant que peut-être, de là où il est maintenant, il pourrait me voir et être fier de moi.

Mais j'ai pas changé.

J'ai arrêté de boire et de me brûler, parce que ça fait peur aux autres, et j'ai arrêté de pleurer devant eux parce que je supporte plus de voir leurs regards vides.

Mais au fond, je suis toujours la même et mon meilleur ami ne doit pas être très fier.



La seule différence c'est que maintenant je me pose plus de questions, je me pose plus de questions parce que je connais les réponses.

"Serai-je toujours en vie après l'hiver ?", que je me demandais sans arrêt, et aujourd'hui je me réponds : oui ma puce, tu seras toujours en vie, et ça te fera toujours autant chier, et hiver après hiver, l'envie de te trancher la gorge sera toujours là, celle de te défoncer le crâne à coups de marteau aussi, elles resteront dans un coin de ta tête, à attendre la moindre faiblesse de ta part pour t'assaillir et te briser, te briser en mille petits morceaux que tu seras trop fatiguée pour recoller.

Et puis tu reprendras ton traitement et tu oublieras tout ça.

Tu te mettras à croire que tu as changé et tu auras l'impression que tout va mieux, jusqu'à ce que tu tombes à court de nouveau.


Mais tu sais ma belle, tu ne seras jamais une fille rigolote.

On te répètera qu'il faut agir mais t'en auras rien à foutre, tu vas juste passer toute ta vie à faire la gueule, à faire la gueule et à attendre que quelqu'un t'aime même si tu souris pas.






Je suis désolée, Lorinda.

Quand tu seras grande, prends tes médicaments, s'il te plaît.

Ils rendent le temps moins long.

You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: Feb 13 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

chifoumiWhere stories live. Discover now