Prologue

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Il existe des monstres qu'on ne peut combattre. Des créatures qui nous elimineraient d'un claquement de doigts, des forces si puissantes qu'il vaut mieux les interdire avant que leur incandescence ne brille au grand jour.

Des grenades vivantes aux mains gorgées de sang, nacrées de flammes, aux idées  plus tordues qu'un avion en papier et le cœur noir comme la cendre. L'acidité d'une âme.

Oui, même dans le monde des Ombrumes, les monstres existent.

***

— Prince Ivan, mettez-vous à l'abri !

L'écho d'un bombardement fendit la réplique du soldat, il aurait aimé réconforter le jeune fantôme, lui donner plus d'instructions mais il sentait que sa place était dans les rangs, près de ses camarades d'armes.

Exceptionnellement, toutes les ombrumes avaient choisi de s'unir, ce jour-là. De s'allier. Puisque si elles ne le faisaient pas, elles verraient s'effondrer un par un, brique par brique leurs précieux royaumes enchantés.

Ivan, voulant aussi combattre,déploya ses ailes ectoplasmiques avec adresse, et s'évada dans les couloirs. Par chance, on ne lui avait pas donné le moindre boulet, ni la moindre chaîne pour le retenir. Ses parents avaient du se ranger en sécurité, il l'espérait néanmoins.

— Ivan, qu'est ce que tu fais ici ?

Une  fée mâle approcha. Il reflétait dans ses yeux améthyste une triste inquiétude, passant avec nervosité une main dans sa longue chevelure de jais, avant d'attraper la main du petit prince, par prudence. Ses dons de métamorphose lui furent toutefois bien utile pour tenir ses doigts sans chair.

— Jay! s'exclama le jeune prince, croyant recevoir de l'aide pour s'échapper. Je.. je voulais voir si papa et maman vont bien.

Le futur prince des fées avait accouru vite comme s'il avait peur que l'enfant fasse une grosse bêtise, mais derrière lui, sa fiancée soulevait les jupons de sa robe en Pétales de Lys et peinait à le rattraper. Si seulement le vol n'était pas interdit dans ce palais, si seulement les murs étaient plus hauts, maugréa-t-elle, essoufflée.

— Tu vas combattre toi aussi ? demanda le fantôme lorsqu'elle arriva devant eux.

Evangeline secoua la tête. Sa sœur lui avait demandée de ne rien faire de stupide, et on lui avait surtout fait promettre de veiller sur le petit garçon, alors elle avait obéi. Jay serra la main ectoplasmique du très jeune prince, et se mit soudain à parcourir le couloir sans portes à grande enjambées. Sa fiancée comprit vite pourquoi : le monstre risquait de se rapprocher dangereusement du royaume des fantômes. Le petit prince commença à sangloter, un poing essuyant ses yeux corbeau.

—  Jay... J'ai peur.

Arrêtant leur course, l'interpellé s'agenouilla une seconde à ses côtés, sous une fenêtre de pierres blanches, Le crépuscule peignait les coins du ciel, bientôt envahis par de gros nuages sanglants de bleu et de poussière, conséquence atroce du combat —du massacre qui se jouait là dessous.

— Eh ça va aller, petit prince, tu connais le roi Dracula, la nuit vient de tomber regarde, il va vite nous aider avec son armée. Le roi et la reine des fées vont aussi s'occuper de terrasser cette atrocité une bonne fois pour toutes.

— Et mes parents ? renifla-t-il en jetant un œil inquiet à la princesse féerique. Ils ont réussi à se trouver un abri ?

— Ivan... Ils sont partis sur le champ de bataille.

Evangéline jeta un lourd regard noir à son fiancé à l'instant même où ces mots dépassèrent ses lèvres.

— Ils m'ont promis qu'ils n'iraient pas ! Ils m'ont dit qu'ils se cacheraient ! s'alarma Ivan en commençant à se débattre, affolé.

La princesse resta interdite en posant sa main sur l'épaule de jeune garçon. Elle traversa, et la retira aussitôt.

— Ils sont forts, ils s'en sortiront.

Evangeline avait toujours eu foi en sa petite sœur, une fée brillante, exceptionnelle —Et  votre humble narratrice — mais malheureusement les grognements bestiaux qu'elle entendait au loin ne surent la rassurer. Elle s'approcha de la fenêtre, dans l'espoir d'y déceler une issue ou un espoir.

La nuit avait pris la couleur de la cendre et la forêt celle d'un brasier. Des éclairs percaient un à un la cime des arbres, tout près, trop près de la clairière des nouveaux-nés féeriques. Et si le monstre les touchait ?

Déglutissant, elle hésita à rompre sa promesse et s'envoler à leur secours... Mais elle n'était qu'une simple fée de l'esprit. À quoi servirait-elle ? Avec le pouvoir du vent ou des eaux, elle aurait pu éteindre les flammes, mettre en sécurité ses futurs sujets ou déstabiliser cette vile créature.

Au loin, sa mère étendait une poudre blanche, glacée, qui semblait protéger les doux nourrissons sous un dôme de givre. Évangéline poussa un court soupir de soulagement. Elle avait toujours admiré sa génitrice malgré leurs différends à propos de Jay et de son statut de simple roturier. Il fallait dire que sa position de reine lui octroyait une ribambelle de pouvoirs, et qu'elle les maniait tous avec brio.

Évangéline l'enviait surtout parce qu'elle savait qu'elle ne l'égalerait jamais. Pas sûr le plan du règne en tout cas. Elle aimait se rassurer en se jurant qu'elle, au moins, veillerait par dessus tout au bonheur de ses enfants dès lors que son ventre rond donnerait des graines. Elle posa une main sur celui-ci... bientôt ? Si Jay le veut.

Une petite main translucide sautilla pour  assister, à son tour, à la scène. Ivan voulait apercevoir le monstre, savoir s'il était aussi indomptable que le racontaient les soldats revenant s'approvisionner en armes et en pansements. Il perçut finalement deux épaisses cornes sous cet halo de lumière chaude, quand Jay revint lui obstruer la vue.

— Allez Ivan, on doit se rendre au...

Le son d'une explosion camoufla sa voix, tandis qu'il  reprit immédiatement l'enfant dans ses bras. Pas pour le consoler cette fois, non. Pour qu'il ne voie pas ce qu'il venait de ce produire.

Evangeline hurla.

Une fée, la princesse cadette, venait de percer le cœur du monstre.

Mais au prix de sa vie ( de la mienne à vrai dire).

La créature chuta, le sol fut parcouru de mille secousses.

Le lendemain, on deplora les décès.
Des douze souverains du monde des ombrumes, tous périrent.

Et douze héritiers montèrent sur le trône.

Rouge grenade (terminée) Where stories live. Discover now