Recueil de Textes

Soaked

Elle s'en va. Elle a compris, elle a tout lu dans le regard de cet homme.

Les néons au dessus de sa tête tachent de blanc son visage parcheminé, ses yeux rouges et ses cernes violacées.

Au passage, dans certaines chambres, elle entend à la radio "...tempête fait rage au dehors..." un mur la sépare de la prochaine chambre, qui arrive à sa hauteur "...vigilance orange..." elle se rapproche de la prochaine pièce "...fortement de rester chez vous..."

Elle entre dans l'ascenseur et se regarde, les yeux noirs, dans le miroir en face d'elle. Elle se détourne. Elle ne veut pas voir la tristesse sur son visage.

Enfin, arrivée au rez de chaussé, elle sort brusquement. Comme l'a prévenue la radio, la tempête dehors est forte, si forte.

Le vent se défait de toute sa fureur sur elle, tandis que pluie et grêle ravage son visage. Mais elle avance malgré le vent qui lui lacère les joues et les grêlons qui lui heurtent le front, la pluie qui s'enfoncent dans ses cheveux.

Elle l'aimait, c'était ça le problème. Elle n'a pas voulu le lui dire, peu lui importait que c'était sa dernière volonté, elle ne lui a pas dit. Maintenant il est mort et les seuls souvenirs qui lui restent de leurs moments à deux sont les disputes.

Elle secoue la tête et coure. Elle n'est pas sportive habituellement. Sa gorge lui brûle aux premiers cent mètres. Mais peu lui importe. Elle mérite de se faire souffrir, elle le mérite.

Ses poumons vont exploser, elle les sent s'irriter de ce manque d'oxygène et de cet air glacé qui entre à chaque goulée pour la paralyser un peu plus. Son corps l'oblige à s'arrêter. Pour compenser cette frustration, elle hurle. Elle hurle le plus fort possible. Elle crie sa rage, elle crie qu'elle se déteste. Qu'elle veut mourir.

Puis elle pleure. Elle pleure les larmes qui trahissent sa peine. Elle veut que personne ne l'entende. Que personne ne vienne la prendre dans ses bras. Que personne ne lui donne ce dont elle a besoin. Elle pleure si fort que ses sanglots qui se transforment en spasmes.

Elle se répète qu'elle se déteste sans que cela ne change rien à sa situation. Elle est révoltée de son attitude sans pouvoir y changer quoi que ce soit maintenant. Elle mériterait de mourir, aller retrouver son frère, bien qu'il ne se trouve pas en enfer, pour lui demander pardon.

Une boule dans son ventre lui tord l'estomac, non, il ne faut pas qu'elle meure, ses parents l'aiment, elle ne peut pas se montrer égoïste une nouvelle fois.

Quand elle repense à la façon dont il l'aimait, la façon qu'il avait de la regarder comme le plus beau des trésors. Elle était sa petite sœur. Il s'est toujours comporté pour qu'elle soit heureuse. Il était un prince avec elle. Elle ne lui a jamais rendu son amour comme elle se le devait. Elle repoussait ses baisers et ses tentatives de l'enlacer.

Elle s'allonge sur les pavés du pont sur lequel elle est, la pluie martèle son ventre et entre dans ses yeux. Trempée. Elle est trempée. Peu importe. Après tout, elle peut bien se laisser mourir, tout ce qui la garde en vie sont ses parents à l'heure qu'il est.

Deux mains immenses la remettent debout. Elle pleure de plus belle quand elle voit devant elle son ami de toujours qui l'a retrouvée. Il a l'air essoufflé. Il a couru pour la retrouver.

Elle lui tourne le dos et fait mine de sauter du haut du pont. Il la maintient au sol. Elle se cramponne au rebord du pont et frappe de toute ses forces le gravier dessus. Son ami lui retient les mains.

Pourquoi faut il qu'il l'empêche de se faire du mal ? "Lâche moi !!" elle lui hurle dessus en lui frappant de toutes ses forces la poitrine. Elle le voit grimacer. Elle lui fait mal.

Il la serre contre lui. Elle résiste, sans plus de volonté. C'est ce qu'elle attendait. Au fond. Il la serre si fort qu'elle peine à respirer, il ne laisse plus de place aux sanglots qui sortent de sa gorge.

Elle sent sa peau se noyer sous cette pluie torrentielle. Même le fleuve qu'est la Seine est agité de vagues qui menacent de les submerger à chaque rafales de vent. "Il faut rentrer Mia" ses paroles, à intention douce sont en réalité criées "on va se faire noyer si on reste ici, c'est dangereux".

Elle lui hurle qu'elle ne veut pas partir, lui résume qu'elle souffre trop pour se réfugier dans un endroit calme. Qu'elle a trop fait souffrir pour être en paix et qu'elle ne s'en donne pas le droit. "Si toi tu t'en donnes pas le droit, je t'obligerai"

Un long râle sort de sa gorge et des larmes inondent de plus belle son visage dévasté part les éléments. "Ça fait trop longtemps qu'on est là Mia" cette fois ci il lui murmure presque ces mots à l'oreille avant de la tirer dans la direction inverse des flots déchainés de la Seine.

Elle se laisse faire, vidées des forces qui lui restaient après avoir couru trop longtemps pour sa condition physique.

Sans comprendre ce qu'il se passe.

Sans autant savoir pourquoi elle reçoit un si doux traitement.

Sans comprendre pourquoi elle est encore en vie.

Soaked.