Chapitre 1 : L'orpheline

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21 ans après le jour tragique 

Les cris harmonieux des oiseaux qui piaillent de bon matin avaient toujours été pour moi une mélodie apaisante. Mais aujourd'hui, il en était tout autre. Allongée dans mon lit, les jambes de travers, les cheveux décoiffés et une main enroulée autour d'un coussin, je ressentais toute la lourdeur de mon pauvre petit corps en ce début de matinée.

Comme si le sort s'acharnait irrémédiablement sur moi, un affreux mal de tête pointait à l'horizon avec son cortège de douleurs et de crampes musculaires. Il n'y avait plus aucun doute, j'avais un peu trop forcé sur la bouteille la nuit précédente.

Suki m'avait pourtant prévenu : « les lendemains de cuite ne font pas de cadeau ». Hélas, je ne l'avais pas écouté. Je voulais boire pour oublier ma vie désastreuse, boire pour oublier qui j'étais et ce que j'inspirais aux gens : du dégout et de l'aversion.

Je souhaitais juste, le temps d'une soirée me sentir vivante et acceptée, au moins une fois, dans cette sordide vie. Grosse erreur ! Je m'étais encore leurrée.

Malgré mon état d'ébriété, les regards désobligeants et moqueurs que je recevais de la part de parfaits inconnus dans cet Udu*, avaient fini de m'achever. Ce monde n'était pas prêt à m'accepter pour qui j'étais.

Lasse de la chaleur étouffante de mon lit, j'entrepris de me lever. Je m'aventurais alors sur mon balcon, un coin de paradis que j'avais agrémenté de plantes aux senteurs légères et rafraîchissantes. J'y puisais de l'énergie pour affronter mes journées pendant que tout semblait me retenir dans mon appartement, loin de ce monde de fou qui courrait à sa propre perte.

Je ne remercierai jamais assez Mr Serin, le directeur de mon orphelinat pour ce havre de paix. Il avait fait des pieds et des mains pour me trouver ce petit espace où débuter mon indépendance. Je n'avais donc pas eu à passer des mois sur une liste d'attente en faisant appel à la chance pour dénicher un appartement.

Après toutes ces années dans un centre d'accueil entouré constamment d'une trentaine d'autres enfants, je ne pouvais qu'être heureuse pour chaque instant de tranquillité que j'y avais. Les murs étaient lézardés, la peinture était défraîchie, le mobilier pas toujours fiable se limitait au strict minimum, le sommier cédait une nuit sur deux, mais c'était chez moi. Ici, je me sentais en sécurité.

Hastra, la cité dans laquelle je vivais avait un système particulier dans la classification de ses habitants. On avait droit ou non à certains privilèges en fonction de notre lignée. Plus celle-ci se rapprochait de la famille du Roi ou de la Reine, mieux c'était.

Bien sûr, les orphelins n'avaient droit à rien venant de la part de cette société. Nous nous retrouvions souvent à servir des personnes influentes durant toute notre vie. Servante, jardinier, chauffeur, porteur... Voilà quelques métiers qu'on était obligé d'accepter si l'on voulait avoir le gîte et le couvert. Il y avait des possibilités d'évolution, mais elles étaient aussi rares que la pluie à Hastra.

Cette dernière avait beau être une cité moderne avec des siècles d'évolution, les réflexions de ses habitants n'en demeuraient pas moins étriquées. La moindre nouveauté était prise comme une anomalie dont il fallait se débarrasser à coup de pot-de-vin et de malversation.

J'avais réussi à m'en sortir jusqu'ici grâce à mon intuition qui rythmait mes actes. J'évitais les ennuis et je restais dans le rang. J'étais là sans ascendance dont la plupart des Hastriens se fichaient totalement.

Ma chevelure rousse et mon teint blafard ne passaient jamais inaperçus dans une ville où la plupart des habitants étaient bruns ou blonds avec la peau mate. Pour paraître un tant soit peu normal, je persistais alors à cacher mes cheveux sous un bonnet.

Pourtant, si cela n'avait était qu'une question de physique, je n'aurais pas été autant tourmenté durant toutes ces années.

Cette fameuse nuit de mon dixième anniversaire me revint comme un flashback. Je surpris au détour d'un couloir, une discussion dont je faisais l'objet.

- Comment le roi tolère-t-il la présence de cette Dréa sur nos terres ? Elle est pourtant la progéniture de ses truands sans foi ni loi , déclara une des responsables de l'orphelinat à l'une de ses congénères.

- Notre roi fait décidément preuve d'une grande bienveillance à l'égard des personnes qui ne le méritent pas. Heureusement, plus aucun d'entre eux n'est encore en vie pour créer de tels troubles, dit une autre en ricanant.

C'est ainsi que j'appris que mes parents n'étaient plus. Mon rêve de les revoir un jour, de les serrer dans mes bras et de partager des moments conviviaux avec eux venait de se briser à jamais.

Caché derrière le mur, les yeux larmoyants, je tentais tant bien que mal de retenir le flot de larmes qui menaçait de me faire éclater en sanglot. Le reste de la conversation m'apprit que mes parents faisaient partie des révolutionnaires qui furent exterminés par l'armée royale 9 ans auparavant.

Ce fut la seule et unique fois où j'entendis parler d'eux. Je ne savais pas à quoi ils pouvaient ressembler, aucune image, aucun portrait d'eux ne m'avait été montré.

Mes nombreuses tentatives pour en apprendre plus sur mes parents et comment ils étaient devenus des révolutionnaires restaient vaines. Aucun de nos surveillants à l'orphelinat ne prêtait attention à mes demandes. Je finissais souvent avec des remontrances pour avoir tenté d'en apprendre plus. Comme si cela n'était pas suffisant, cette période avait été effacée des livres d'histoire d'Hastra.

Du haut de mes 22 ans, j'avais donc toujours droit aux regards désobligeants, aux insultes, à une mise à l'écart presque systématique sans pour autant comprendre la source de toute cette haine. Un jour peut-être, je lèverai le voile sur mes origines. Mais pourrais-je accepter la réalité, quelle qu'elle soit ? Ou devrais-je me résigner à vivre cette vie dont je ne voulais pas ?

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Udu* : brouillard en estonien. Nom donné aux boîtes de nuit clandestine où toutes les couches de la société pouvaient se côtoyer sans distinction grâce au brouillard artificiel créé en ces lieux. Les occupants ne peuvent se voir à plus de 50 cm de distance. 

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Hello ! J'espère que vous allez bien. Un chapitre de fait. 

Alors quelles sont vos premières impressions sur notre petit Dréa ? :D


Aime-moi ou meurtWhere stories live. Discover now