Fomentation

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Les seules fois où Shona pouvait sortir, c'était dans la tiédeur de la nuit. Elle pouvait alors arpenter les longues routes partiellement goudronnées et jouer, les pieds dans l'herbe sèche du jardin. Malgré la maladie, elle adorait ces moments, des moments de pur calme et de sérénité. Elle se sentait elle, elle se sentait là.

Parfois, alors que des gouttes de transpiration la rendaient collante et humide, elle allait s'arrêter sous l'apatam de chez Nasser. Le togolais avait installé sa petite boutique ici, dans la rue adjacente à la maison de Shona. Il savait pour la petite et l'aimait comme on aime une nièce. Avec ses joues rebondies et son sourire chaleureux, il pouvait voir dans ses yeux une tristesse infinie causée par l'isolement. Pourtant, la jeune fille restait positive, elle savait que ce n'était pas sa destinée que de rester enfermée toute la journée. Et c'était le cas, Shona s'était sentie totalement misérable hier, comme un fruit pourri, comme une paralysée. Elle n'avait jamais eu l'impression d'avoir le contrôle de sa vie, elle était sous le joug de ses parents, de ses nounous et du désintéressement de ses frères. 

Légèrement fatiguée, il était déjà vingt-heures, elle s'assit dans l'herbe chaude. Elle pensa longuement, les mains plantées dans l'herbes.

"Faut-il que je m'en aille, loin, se demandait-elle. Mais je n'ai nul part ou aller, si je vais chez mes oncles et mes tantes, il le diront à papa et maman."

Entre temps, elle prenait soin d'arracher chaque brin d'herbe qui frôlait le gras de ses doigts. Une tige après l'autre, elle cherchait assidument une solution qui pourrait la sortir de cette passivité qu'elle détestait tant. Elle s'arrêta un instant. Elle n'avait pas besoin d'aller loin pour trouver le soleil, il serait en dessous d'elle où qu'elle soit. La difficulté résidait donc dans le fait de sortir sans se faire voir par quelqu'un. Bonne coïncidence, elle n'avait plus de nounou, plus d'yeux pour la surveiller.

Enfin contente de sa sortie, elle devait maintenant trouver le moyen le plus simple pour s'échapper de sa prison dorée.

Le plan était simple. Il fallait d'abord faire un repérage des lieux, savoir où elle irait se cacher la nuit avant d'attendre le jour. Elle ne pouvait pas s'échapper de la forteresse que constituait sa maison en pleine journée, les cuisinières, le gardien et le chauffeur la verraient facilement. C'était un peu une sorte de jeu, un jeu d'espionnage peut-être. Cependant, il fallait faire un peu de mathématique. L'esprit très enfantin de Shona voyait cela comme lors des ses cours de CM1.

La maison pouvait être vu comme un carré, avec une porte dans chaque quarts, trois de ces portes étant surveillé par quelqu'un. Il n'en restait alors qu'une, celle du petit salon qui donnait directement sur le jardin. De là, elle pourrait alors prendre l'échelle qui montait vers le toit et elle pourrait enfin vivre son rêve. 

Aujourd'hui n'était pas le bon moment pour sortir, elle attendrait demain et passerait le reste de la journée à s'occuper des préparatifs. Il lui fallait des vêtements qui la couvrirait, et en trouver n'avait pas été une tâche facile, après tout qui allait se couvrir de pulls et cacher ses bras sous des longues manches alors que le soleil tapait haut et fort chaque endroit sans ombre dans ce pays si chaud. 

Il fallait aussi prévoir ce qui allait se passer, Shona avait un esprit calculateur et vif qui savait parfaitement comment trouver les meilleures solutions. Elle avait donc décidé de se rendre dans le petit salon lors de la sieste générale. Après avoir fini leurs travail, les employés de la maison s'allongeaient sur une paillasse dans l'arrière-cour. Parfois, profitant de la chaleur plus douce de l'après-midi, certains s'assoupissaient et la maison était alors silencieuse durant plus d'une heure.

Les frères de la fillette étaient eux aussi en train de comater devant la télé dans ces moments là, l'un la tête à l'envers, l'autres les doigts dans la bouche. Il était impossible de dire qu'ils étaient plus grand que leur sœur  lorsqu'on les voyait dans ces positions.

Shona allait donc aller dans le petit salon puis discrètement sortir par la baie vitrée. Il fallait faire le plus doucement possible pour qu'elle ne couine pas. Ensuite, une échelle en bois posé sur le bord du mur et menant au toit, allait lui permettre d'accéder à l'objet de tout ses désirs. C'était là, enfin elle allait pouvoir accomplir ce qu'elle désirait tant. Après avoir tout planifié, elle alla se coucher avec un sourire profondément sincère.

Avant qu'elle ne ferme les yeux, sa mère vint la bercer.

- Ma chérie, tu dors, demanda-t-elle.

- Pas encore maman, répondit Shona en se retournant vers la porte entrouverte, là où se tenait sa mère.

La dame s'avança, puis s'assit sur le rebord du lit avant de caresser les cheveux de sa fille.

- Tu sais Shona, je suis fière de toi, je sais que la vie n'est pas douce mais je veux que tu saches qu'ils faut que tu restes forte. Fortes pour nous mais surtout pour toi. Demain tu seras seule, je ne veux pas que tu sortes.

Elle avait prononcé tout cela avec un ton solennel et s'apprêtait à partir. Shona la retint par le bras alors qu'elle commençait à se lever.

- Je sais maman, mais tu sais, parfois, je me demande si vivre de cette manière me permet réellement de vivre, chuchota Shona. Je vis pas maman, je survis mais je sais qu'un jour où l'autre la mort ou la douleur me rattrapera, alors pourquois, dis moi pourquoi je ne peux pas vivre.

- Mais ma chérie, qu'est-ce que tu racontes, tu vis, tu vis mais...il faut que tu restes cachée du soleil pour vivre, sinon que vas-tu deven-

- Je ne veux plus vivre, ou du moins plus de cette manière, coupa Shona. 

Elle tourna dos à sa mère et ferma fort les yeux afin de ne pas laisser ses larmes couler. Malgré son envie d'escapade, elle ne voulait pas faire de mal à sa mère. Mais, en même temps, elle ne pouvait plus vivre comme un sucre qui allait fondre sous la pluie ou le soleil. Il fallait qu'elle prouve à sa mère qu'elle était forte, plus forte qu'elle n'en avait l'air.

La main de sa maternel glissa une dernière fois sur sa joue avant qu'un soupir ne s'échappe de ses lèvres. Elle se leva, puis s'éclipsa en fermant la porte sur une Shona confiante pour l'avenir mais amère.

Soleil lunaireWhere stories live. Discover now