Faire chier les homophobes

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La cérémonie sembla étrange à Gringe, bien qu'il n'eut aucun point de comparaison en la matière. Paradoxalement, il avait déjà perdu beaucoup de gens autour de lui, arrachés à la vie par la route, les démons de la drogue et les affres de la dépression.

Il n'avait pourtant jamais réussi à foutre les pieds à un enterrement. Trop solennel pour lui. Trop définitif peut être aussi. Pour quelqu'un comme lui incapable de faire le moindre choix, la mort était doublement effrayante.

Il trouvait l'ensemble du rituel funéraire malsain, presque voyeur. Il était plutôt du genre à se pointer des années plus tard au cimetière avec une bouteille de Jack pour se mettre une caisse à rouler sur les pierres tombales et vomir au milieu des chrysanthèmes. Parfois accompagné. Le plus souvent seul.

Et voilà qu'il foutait les pieds à l'église pour l'enterrement de son père ...

Était-ce parce qu'il s'en sentait moins proche ? Ou alors au contraire car celui-ci était inscrit dans sa chaire comme immanquable, peu importe ses préférences personnelles ? Il n'en savait rien. À vrai dire, il n'avait pas l'impression de comprendre grand chose à ses propres agissements.

Il se laissait guider, flottant d'obligations morales et attentes sociales, essayant confusément de faire ce qu'on attendait de lui. Il attendait avec impatience que son cœur et sa tête rattrapent le retard qu'ils avaient accumulé et qu'il fut enfin de nouveau capable de prendre une décision pour lui même.

Il était complètement éclaté au sol. Déconnecté. À côté de la plaque. Comme sa console qu'on aurait débranchée pendant une mise à jour et qui se serait re-synchronisée au premier janvier 1960. Ridiculement décalé. Inutile.

Il voyait les gens autour de lui. Il entendait le sermon du prêtre et des gens qui étaient appelés à s'exprimer à l'autel pour parler de l'homme merveilleux qu'avait été son père d'une voix chevrotante. Il entendait, il voyait tout ça, et pourtant, tout semblait pour lui se dérouler comme à travers un voile de coton. Comme si tout cela ne le concernait pas, qu'un autre macchabée que son géniteur avait été tout apprêté et maquillé par les pompes funèbres pour aller sagement pourrir sous terre sur son 31.

La chaleur avec laquelle les invités se remémoraient l'homme n'avait rien à voir avec le père qu'il avait eu lui. Assurément, ils devaient parler d'une personne différente. Ce chrétien modèle, travailleur, compagnon fidèle et bon père de famille qui laissait derrière lui une orpheline éplorée, ce n'était pas celui qui avait inscrit dans ses gènes tant de névroses.

Lui, il ne pleurait pas, c'est vrai. Est ce que ça faisait de lui un moindre orphelin ? Un gosse de seconde catégorie ? À aucun moment de la cérémonie son existence ne fut mentionnée. Il est vrai que son père n'avait jamais eu et aimé qu'un seul enfant, et ce n'était certainement pas lui.

Plus que le discours du prêtre, il entendait résonner dans l'église les hoquets discrets d'Éléonore qui essayait en vain d'étouffer ses pleurs. C'était étrangement cathartique de l'entendre pleurer.

Comme il aurait aimé pouvoir pleurer lui aussi... Il y a si longtemps qu'il n'y parvenait plus.

Elle l'avait aimé et il l'avait aimée en retour. Elle l'avait connu, pour de vrai. Elle aurait sûrement été capable de dire sa couleur préférée ou le gâteau qu'il réclamait tous les ans à son anniversaire, comme en retour il aurait su dire les siens. Elle aurait su s'il était comme lui allergique aux fraises, ou au pollen. D'eux deux, c'était encore pour le mieux qu'elle soit celle qui le pleure au final. Plus logique. Plus mérité.

Il aurait voulu que leur géniteur ne soit pas un homme que l'on pleura à sa mort. Ce n'était pas le cas et cela ne rendait l'abandon qu'il avait vécu plus cruel pour lui. Il était content qu'elle aie eu un père, bien sûr. Elle le méritait... Qui ne le méritait pas ? Mais alors pourquoi lui ne l'avait pas mérité ?

Comment il est Gay, notre poteWhere stories live. Discover now