9 - Après ta mort

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Seuls les plus courageux osent s'aventurer sur les bancs du lycée. Il faut dire qu'ils sont l'endroit rêvé pour les pigeons espiègles qui cherchent une nouvelle proie à attaquer de leurs fientes. De grands platanes surplombent la cour et cachent entre leurs branches des mangeoires fabriquées par le club écologie.

Comme d'habitude, je m'isole au fond de la cour sur le banc qui m'est réservé. Il ne m'appartient pas à proprement parler mais personne d'autres que moi n'est jamais assis dessus. Tu étais le seul qui osait m'accompagner. D'ici, j'ai une vision périphérique sur tout ce qu'il se passe. De la petite salle des profs où Papa boit un café au CDI en passant par la salle d'étude où plus d'avions s'envolent que dans un aéroport. Je vois tout et c'est parfait. Aucun risque d'être surpris et entraîné dans une conversation soporifique.

Depuis mon retour, je suis resté seul ou accroché à Ava comme à ma mère dans les magasins lorsque j'avais cinq ans. Ce matin, j'avais cours de sport alors j'ai discuté un peu avec Maxine. Ses ongles étaient presque rongés jusqu'à la base, ses cernes lui descendaient jusqu'au menton. Elle n'est pas dans une grande forme depuis ton départ. Moi non plus et pourtant, je suis resté écouter ce qu'elle avait sur le cœur. Elle m'a parlé de toi, m'a demandé si je pensais qu'elle avait été suffisamment présente. Je l'ai rassuré du mieux que je pouvais même si je n'en croyais pas un traître mot. On a fini par pleurer dans les bras l'un de l'autre.

Elle m'a demandé si je comptais continuer la natation. J'ai pensé non. J'ai dit « pas pour le moment ».

J'apprécie peu que les gens pleurent pour toi. Surtout s'ils ne te connaissaient pas comme moi et ta mère on te connaissait. C'est très égoïste de penser qu'on est le seul à avoir le droit de pleurer un mort. Pourtant, je ne cesse d'avoir envie de les frapper en leur criant d'arrêter de porter ce masque de tristesse.

Colère, troisième étape.

J'ai l'impression que cette haine va diriger ma vie à tout jamais. Je me dis ça va passer. Je n'y crois pas.

Ce midi, Mathias m'a proposé de manger avec lui et ses nouveaux amis de la filière STI2D. Ça m'a fait plaisir mais je ne voyais surtout pas comment refuser après le message qu'il m'a envoyé le lendemain de ta mort.

Je rentre de l'enterrement. Ton connard de géniteur attendait dehors. Je l'aurais tué sur place si j'avais pu. Je n'aurais eu aucun remords. Je l'ai juste menacé et insulté. J'ai peut-être gâché ton enterrement en faisant ça. C'était pas pour me montrer en spectacle, je te le promets. Tout chez lui me donne envie de détruire l'espèce humaine.

Dans la voiture, Papa et Maman ne disent pas un mot. Ils ont honte. De moi. De ce que j'ai fait. Ils devraient être contents que je me sois contenté de lui hurler des noms d'oiseaux. Avoir un fils meurtrier serait bien la goutte qui fait déborder le vase. Le paysage est inintéressant. Je plains ceux si malade en voiture qu'ils doivent se résoudre à dénombrer les voitures en fonction de leurs couleurs. Il ne me reste plus qu'à me perdre sur les réseaux sociaux. Je like la dernière photo d'Ava. Vous êtes tous les deux sur la plage. C'était en septembre, quand il faisait encore chaud mais que tous les touristes envahissants avaient disparu. Elle est assise sur une serviette avec sa robe noire et tu es allongé à même le sol la tête posée sur sa jambe. Tes cheveux sont parsemés de sable. Tu en avais laissé plein dans le bus sur le trajet du retour. J'ai pris cette photo. Ton sourire me manque. Je clique sur ton pseudo identifié dans la description et ton compte apparaît. Il est resté tel quel. Aucune mention de ta mort. Tes photos sont encore là, conservant tes taches de rousseur, tes cicatrices acnéiques, ton unique fossette gauche. Soudain, j'ai l'envie de me connecter à ton compte pour voir qui t'a écrit. Ta messagerie est sûrement remplie de plein de souvenirs heureux qui vont me foutre en l'air si je les lis. Dans le doute, je n'y vais pas.

Les nuits désordonnées (BxB)Where stories live. Discover now