30 - Avant ma mort

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— Nathan, j'aimerais que tu descendes avec moi. On doit parler.

— Maman qu'est-ce qui ne va pas ?

Elle essuie ses joues du revers de sa manche et s'éloigne.

— Pol peut venir ?

Il me regarde l'air de dire « Tu es sûr que je serais à ma place ? ». Oui. Je ne veux plus l'éloigner de moi.

— Fais comme tu le sens.

Mon père est mort. C'est la première chose qui me vient à l'esprit quand je vois l'état dans lequel elle est. L'hypothèse du suicide est possible, tout comme celle de l'overdose. Si j'ai raison, je ne veux pas pleurer. Il ne mérite pas mes larmes. Seulement mes coups. Je serais présent pour Maman. Et à l'enterrement. Qu'il ne compte pas sur moi pour déposer des fleurs sur sa tombe. Une rose ne pousse pas pour finir souillée de la sorte. Je m'habille le plus lentement possible. Quand j'apprendrais la nouvelle, je ne pourrais pas revenir en arrière. Bien que sauter par la fenêtre et fuir loin de tout semble être la meilleure solution pour ne pas souffrir, ce n'est pas une option.

Je ne fais plus attention à rien. J'écrase mon carnet en sortant de la chambre. Mes ongles griffent la rambarde de l'escalier, que je tiens fermement. À chaque pas, je me rapproche de la réponse. Mon cœur se gonfle. Tout tremble. Mes pieds nus caressent lentement les marches pour ne pas faire de bruit. Comme si le problème allait s'envoler en ne me voyant pas arriver. Sans un mot, Pol me suit presque aussi effrayé que moi. L'idée qu'il soit à mes côtés me rassure un peu. Je m'arrête quand je touche le carrelage. Un minuscule caillou caché dans les jointures se plante dans mon pied. Mon visage se tord de douleur. Ça m'habituera. Je reste là, sans bouger. J'ai le trac. Peut-être que tout va s'effondrer dans quelques secondes. Mon monde ou alors le monde entier. L'attente se fait de plus en plus cruelle. Le vacarme cesse quand je croise le regard de Maxine, assise dans le salon. Maman attrape sa tasse de café. Elle tremble tellement que ça déborde. J'entends Hippolyte s'étonner de la présence de Mme. Leblanc. Ma main cherche la sienne et une fois qu'elle l'a trouvé, j'ai assez de courage pour m'avancer et m'asseoir dans un fauteuil.

— Vous lui avez tout raconté ?

Maxine est désolée. Pas autant que moi.

— Tu es sûr de vouloir que Pol soit là ?

Je ne peux plus rien cacher. On vient d'arracher ma carapace. Je ne réponds pas et repose ma question à la place.

— Pas tout, non. J'ai pensé que c'était à toi d'en parler à qui tu le voulais.

— Exactement. Vous avez totalement raison. Alors pourquoi avez-vous ouvert votre putain de gueule ?

— Nathan, ne parle pas comme ça à ta professeure, m'interdit Maman.

Elles ont du culot les deux. Ma vie vient d'être étalée devant ma mère. La seule que j'ai toujours voulu protéger de tout ça. Celle qui n'a pas su me protéger de son mariage désastreux.

— Je veux savoir exactement ce que vous lui avez dit.

Elle ne lui a pas dit pour Sarah, Dimitri et Pol. Pour le reste, elle ne s'est pas gênée. Mon malaise, mes repas sautés, mes crises de boulimie, mes vomissements... J'évite le regard de Pol. C'est idiot, mais j'ai peur de l'avoir déçu. Je ne veux pas qu'il pense qu'il y est pour quoi que ce soit.

— Pourquoi ne m'en as-tu jamais parlé ? s'inquiète Maman.

— Parce que tu crois que c'est facile ? Ça fait huit mois que je suis au fond du trou et que je fais tout pour le cacher. Pour n'inquiéter personne et parce que je croyais que si les autres pensaient que j'allais bien, ce serait le cas. Parce que je pensais pouvoir réussir à gérer tout seul.

Au final, je n'ai réussi qu'à faire du mal à tout le monde.

— Ouais. Je suis malade. Mais en ce moment, je fais beaucoup d'efforts. Je ne me prive pas de nourriture et je ne me gave pas par derrière. Petit à petit, je réussis à combattre mes démons.

— Avec notre discussion d'hier, j'ai eu peur que tu rechutes, que tu fasses une crise d'anorexie ou de boulimie. Je ne pouvais pas te laisser faire, je devais intervenir.

— Mais je n'ai pas rechuté !

Sois honnête, Nathan. Au moins avec toi-même.

— Ça aurait pu arriver hier soir...

Hippolyte essaie de se retenir de pleurer.

— C'était juste avant que tu n'arrives, avoué-je à Pol. Et j'ai réussi à garder mon sang-froid et à ne pas faire de conneries.

Le voir dans cet état par ma faute me tue. J'ai envie de sauter de la falaise pour avoir causé sa souffrance. Ce n'est pas la bonne solution. Y'en-a-t-il seulement une ?

Maman s'enterre sous les coussins du canapé. Elle murmure « Dieu, qu'est-ce que j'ai fait de mal ? » pour elle-même, mais tout le monde l'entend. Dieu ne lui répondra pas. Je ne crois pas qu'il existe. Je n'aime pas le concept qu'il y ait quelque chose de plus grand que l'univers. Ça m'effraie.

— Ce n'est en rien ta faute Maman...

Elle se lève d'un bond et fait des tours dans la pièce. Si elle continue à se tirer les cheveux comme elle le fait, elle va finir scalpée. Je n'ose pas me lever pour la prendre dans mes bras. Pol le fait pour moi.

— L'été dernier, Dimitri avait organisé une fête sur la plage. Je me suis bien entendu avec une fille et on s'est éloignés. Elle voulait qu'on couche ensemble, j'ai refusé.

Sa main qui glisse le long de mon ventre. Je m'enfonce dans le sable, incapable de la retenir. Tous ces souvenirs qui resteront gravés à jamais dans ma mémoire et que je voudrais voir disparaître.

J'efface la mention de l'agression dans mon récit. Maman vient déjà de s'en prendre assez dans la gueule.

— Elle m'a dit que j'aurais dû accepter et qu'elle serait la seule personne qui voudrait bien coucher avec un mec comme moi. Gros.

À ces paroles, Maman s'écroule. Je rassemble toutes mes forces et viens m'allonger auprès d'elle sur le tapis. Je donnerais tout pour que cette discussion n'ait jamais eu lieu. Dans ses yeux, quelque chose s'est brisé. Je retrouve la même lueur que le jour où en plein repas, Maman et mon père m'ont annoncé leur séparation. Aujourd'hui Maman est morte de l'intérieur. Je suis l'assassin. Elle m'attrape désorientée pour me serrer contre sa poitrine.

— Je suis désolée, je suis désolée, je suis désolée, murmure-t-elle à voix haute.

— Ce n'est pas de ta faute, Maman. Je suis désolé de vous faire subir ça.

— Tu n'es pas coupable Nathan. S'il te plaît crois moi, tu n'es pas coupable.

Même si c'est compliqué, je vais essayer d'y croire.

Une fois calmés, nous nous asseyons à nouveau sur le canapé.

Tout le monde chiale, crie, geint.

J'ai ouvert la boîte de Pandore.

— On va t'aider Nathan.

— On sera là pour te soutenir.

— Toujours.

Je regarde Hippolyte qui a prononcé ce dernier mot.

Oui.

Toujours.

N'hésitez pas à me donner votre avis dans les commentaires ! Ça m'aide énormément ♥️

Les nuits désordonnées (BxB)Donde viven las historias. Descúbrelo ahora