Chapitre 1

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La dernière fois que j'ai fait ce cauchemar à propos de mon départ du Sweetenstein, c'était il y a trois jours, pendant l'embarquement à Roissy pour rejoindre mon pays natal. Avant ça, cette scène m'était revenue en mémoire à l'enterrement de mon père onze mois plus tôt. C'est au bord de sa tombe, en jetant une rose blanche sur son cercueil, que j'avais ressenti une fureur sans égale. Un désir de revanche avait instantanément pris source en elle, balayant ma tristesse sur son passage. Jusque-là, et depuis huit ans que nous sommes bannis, je suis à la recherche d'explication pour donner un sens à tout ça. Je rêvais de pouvoir revenir un jour à la maison en disant « ils se sont trompés, j'en ai la preuve ». J'imaginais alors que le gouvernement sweetie reconnaîtrait son erreur et nous accueillerait à bras ouvert, nous permettant de retrouver notre maison. Ainsi, tout rentrerait dans l'ordre.

Mais après avoir perdu ce père que j'aimais tant, le désir de justice a pris toute la place dans mon être, irradiant toute ma réflexion, orientant mes choix jusqu'à me conduire dans un monde sombre dans lequel j'ai flirté avec les limites de la loi. Je terminais tout juste mes études d'informatique avec une spécialité en réseaux, systèmes et cybersécurité alors j'ai passé le concours pour devenir fonctionnaire de police. Pendant que le jour, je suivais assidument la formation, acquérant techniques d'investigation, de filature et de combat, les nuits étaient consacrées à m'immerger dans le darkweb* à la recherche d'un moyen de forcer les systèmes informatiques du Sweetenstein.

Des mois d'intenses explorations infructueuses m'avaient laissé un goût d'amertume renforçant ma vendetta. À défaut de pouvoir m'introduire virtuellement dans le pays, il fallait que je trouve un moyen d'y pénétrer physiquement. Si mes outils technologiques ne m'offraient pas de réponse alors le prince Arturo le ferait. Déterminée à confronter celui qui, jadis, nous avait expatriés, je guettais la moindre opportunité de me rendre sur l'île. Ce temps-là m'a permis de créer plusieurs fausses identités, dont celle qui a été mon laissez-passer pour le Sweetenstein. Luisa Rossi est devenue Lou Rossignol. Ma formation quasi militaire a aminci considérablement une silhouette qui s'était déjà affinée avec la puberté. J'ai troqué mes lunettes contre des lentilles de contact colorées et teint mes cheveux auburn dans un joli ton chocolat.

Mon impatience me faisait trépigner, mais je savourais aussi l'exaltation que ce serait de me trouver devant Arturo pour lui annoncer que sa victime – mon père – était décédé sans avoir gagné sa repentance. Je voulais le voir s'effondrer de culpabilité et de remords. Lui faire perdre huit années comme il l'a imposé à toute ma famille.

À l'époque, notre arrivée en France s'était déroulée dans une cacophonie des plus complètes. Mes parents avaient tenté de sauvegarder les apparences : papa avait dégoté un travail de palefrenier dans une écurie tombant en ruine et ma mère s'était résolue à abandonner son métier d'artiste florale pour devenir caissière dans un grand supermarché. Mes frères et moi avons été scolarisés dans les établissements alentour et même si les sweeties parlent français, nous étions les étrangers et nous le sommes restés pendant toutes ces années. Il faut dire que s'installer en région parisienne après avoir passé toute sa vie sur une île paradisiaque est un choc des cultures très traumatisant. Avec le bruit de la circulation, les odeurs de pollution, les bagarres dans l'immeuble où nous avions trouvé refuge, je crois que je n'ai pas réussi à dormir une nuit complète pendant plusieurs mois.

Notre famille, si joyeuse et unie, s'est pourtant délitée : peu après notre arrivée, Pedro a souhaité faire ses classes dans l'armée française. Supportant mal l'absence de son alter ego, Tiago a décidé de quitter le giron parental pour se terrer dans un internat de province. Il enchaîne aujourd'hui les petits boulots par-ci par-là puisqu'il a arrêté ses études après le baccalauréat. Mon père se tuait à la tâche et refusait de parler de notre vie d'avant. Quant à ma mère, elle occupait le peu de son temps libre à pleurer ou à répéter en boucle que tout allait bien se passer. Il me semble qu'elle tentait de s'en persuader plutôt que de chercher à me rassurer. Je me suis donc retrouvée à essayer de porter, seule, un équilibre précaire.

Bienvenue au Sweetenstein - Tome 2 : Zaccaria - Roman éditéWhere stories live. Discover now