Chapitre 1 - Le bruit de la mort.

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Anna.

On était seul dans la mort. On était seul face à la mort.

J'avais souvent rêvé de ma propre mort. Imaginer mon âme s'élever au-dessus de mon corps et me juger de haut en contemplant quel monstre j'étais.

Mais la mort était sadique.

Nombreux étaient ceux qui vivaient et méritaient la mort. Et certains qui mouraient, méritaient la vie. Mais qui étais-je pour le décider ? Fût un temps où je la servais.

Assise à même la moquette décolorée, dans mon salon qui tombait en lambeaux.

L'odeur était aussi pourrie que dans une morgue abandonnée. Un doux mélange de fer et de poudre, rattrapé par le doux parfum du musc ambiant.

Je comptais le nombre de gouttes qui tachaient la moquette. Le sang qui coulait de son bras, et qui pendait machinalement dans le vide.

Elle était morte. Sur la table basse. Le corps inerte de la dernière personne qui me rattachait à un semblant de modèle familial.

Je l'avais recouverte du plaid à carreaux qui traînait, car c'était ce qu'on était supposé faire, non ? Cacher le cadavre.

Qu'étais-je supposée faire des autres alors ? Je n'avais pas assez de plaids.

Les corps de cinq mecs taillés comme des armoires à glace gisaient sur le sol. Dispersés dans la cuisine dont les couteaux de cuisine m'avaient permis de les poignarder comme un vulgaire morceau de viande. Un, inerte, sur la table à manger qui n'était plus qu'un morceau de radeau disloqué. Un avait carrément atterri dans le vaisselier. Dommage pour la porcelaine.

C'était un groupe de tueurs d'élite.

Ils m'avaient fait mal. Sûrement quelques côtes cassées, une balafre profonde à l'arcade et un coquard demain, mais rien comparé à la douleur qui m'habitait. Cela faisait longtemps que je n'avais pas ressenti ça ; la vengeance.

Inutile de décrire la scène à laquelle j'avais assisté en rentrant de mon ennuyante journée de cours. Même si j'avais déjà vu pire.

Vu l'état de son corps, elle avait dû être torturée. Par pur plaisir. Comme un message qu'on voulait faire passer. Comme une punition qu'on voulait m'attribuer.

C'était une amie de ma mère. La seule personne en qui ma mère avait confiance. Elle m'avait accueilli et je n'avais pas su la protéger. La protéger de quoi ? Qui ? J'avais tué les dernières personnes pouvant potentiellement s'en prendre à moi.

Je l'avais tué.

Et pourtant, il m'avait trouvé. Et ils m'attendaient.

J'avais fermé les yeux et ça avait été ma faiblesse.

C'était calme.

Le bruit du silence. Le bruit de la mort.

Mes doigts fins faisaient tournoyer la petite carte totalement recouverte de rouge plasma. Mes mains collaient dues au sang qui commençait seulement à sécher. Mes cheveux étaient poisseux à cause de la sueur qui avait souligné mon visage alors que j'avais enchaîné mon répertoire de prises de combat. Ma robe volante à fleurs était le tableau d'une scène de crime. Mes baskets blanches ne pouvaient plus se vanter d'avoir cette couleur si pure.

J'étais une meurtrière. Je l'avais toujours été.

J'étais une enfant. Son enfant. Et sa meilleure arme.

Il m'avait entraîné. Tous les jours. Sans répit.

La souffrance, aussi bien physique que mentale, les blessures, la douleur... Si forte, si douloureuse, si pénible.

« On devient plus fort en prenant conscience de ses faiblesses. » Me répétait-il.

J'étais un corps sans âme. Sans émotion. Un putain de pantin.

J'étais un monstre déguisé en ange.

Mais j'avais les pieds sur terre, je tuais sans rien ressentir, mais malgré ça, je savais que c'était mal.

Mon esprit semblait fonctionner au ralenti à cette époque, et c'était à peine si je parvenais à bien distinguer le monde qui m'entourait, tant il me paraissait irréel. Oui, cela me semblait impossible d'être encore en vie après toutes ces épreuves horribles. Horrible était le mot.

De la torture, des manipulations, des missions. Des blessures volontaires pour voir jusqu'à quel point la volonté pouvait dominer la souffrance physique et l'épuisement corporel.

Je ne criais pas. Je ne pleurais plus. Il me l'interdisait.

Les ordres claquaient comme un coup de fouet. Clair, net, sec.

Toutes ces personnes que je défiais, que je blessais, que je tuais. J'avais vu des scènes peu communes sous mes jeunes yeux.

Par ailleurs, ma naïveté et mon visage candide profitaient des situations. Quiconque aurait assisté à ces massacres n'en aurait pas cru leurs yeux qu'une fillette de treize ans était derrière tout ça.

C'était des massacres silencieux, propres, sans aucune émotion humaine, juste un soldat qui obéissait gentiment aux ordres.

C'était le pire ; la manipulation mentale.

Et puis, il y avait eu cette mission.

À mes quatorze ans, j'avais définitivement perdu mon âme.

À mes quatorze ans, mon père m'avait envoyé tuer ma mère.

Désormais, c'était surtout la honte qui me dominait et j'avais l'impression que c'était là la punition qui m'était imputée pour mes crimes : après tout, qui étais-je pour me plaindre d'un châtiment si dérisoire en regard de ce que j'avais fait ?

Une autre couche de réalité qui me ramenait à mes propres cauchemars.

J'avais essayé d'être une autre pendant ces trois années. J'avais essayé d'être Elizabeth Marks. Une jeune fille banale et ennuyeuse.

De vivre une nouvelle vie, même si je ne pensais pas le mériter. Même si j'utilisais son nom. L'identité de ma défunte mère. En hommage ? Non. En punition, pour ce que j'avais fait.

J'avais essayé d'être la parfaite petite adolescente studieuse, recueillie par une nouvelle tutrice gentille et attentionnée. J'avais joué ce rôle à la perfection. Mais c'était la fin de la pièce. J'allais devoir saluer mon public.

Plusieurs sentiments me traversaient, et je ne savais pas comment les accueillir ; la culpabilité, le remord, la colère...

Pourquoi me privait-on de ma liberté ?

Ma liberté avait une date d'expiration et elle se finissait aujourd'hui.

Je clignais des yeux plusieurs fois, incrédule. Je n'allais quand même pas pleurer. Je ne pleurais pas.

Je fixais la porte d'un regard flou.

Maintenant, j'attendais. Il m'avait donné cette carte. Il allait venir.

Académie Morrigan
École pour jeunes surdoués,
San Francisco

Here's the prologue. Hâte de vous lire.
À très vite pour la suite,
✿ Lou

Bang Baby BangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant