Une équipe de choc

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J'étais si captivée par ma lecture que je n'avais pas réalisé qu'Abramovicz m'observait attentivement.

- Sait-on ce qui lui est arrivé ?

J'avais un peu la sensation que la lettre m'était adressée et que j'avais participé, d'une façon ou d'une autre, à cette bien cruelle expédition.

- Sir Tobias Billington a été retrouvé à Paris quelques jours plus tard délirant dans les rues, victime, semble-t-il, du paludisme. Il n'a survécu que quelques heures de plus. On pense évidemment que les autres membres de l'expédition en sont décédés également.

Il a presque l'air triste en le disant, ce qui me rassure un peu parce que toute cette histoire m'a pas mal chamboulée.

- Je suis navrée mais même si cette tablette existe, je ne comprends vraiment pas pourquoi elle pourrait être akkadienne. Billington parle de l'Egypte. De Memphis d'ailleurs, si j'en crois sa description, ce qui ferait de lui un des explorateurs oubliés de la région... Qu'est-ce qu'une tablette akkadienne irait faire en Egypte ? Et pourquoi pensez-vous alors qu'aujourd'hui, elle serait retournée d'où elle vient ? Je suis désolée mais ça ne me paraît avoir aucun sens, monsieur Abramovicz...

- Ellie...

- Oui, eh bien ça n'a pas de sens, Ellie.

A l'évidence, m'entendre prononcer son prénom le fait sourire.

- Ça a peut-être bien du sens, ma petite Nina, dit Berto en nous rejoignant, une carte à la main. Il semblerait que la famille Abramovicz s'intéresse à cette tablette depuis plusieurs générations et que nous ne soyons que les derniers d'une longue liste d'historiens et chercheurs à nous pencher sur la question. Regardez : cette carte retrace le parcours présumé de l'objet. Elle a été réalisée par Georges Vidal-Bosch lui-même en collaboration avec une équipe de spécialistes du monde entier. Si on peut admettre qu'ils aient commis l'une ou l'autre erreur, on ne peut concevoir que toutes leurs recherches soient fausses.

Georges Vidal-Bosch est un des plus grands historiens et archéologue du XXème siècle. Il était le doyen de notre faculté quelques années avant son décès, juste avant mon arrivée. Sa renommée est mondiale et on lui doit bien des découvertes inespérées.

- Vidal-Bosch a travaillé pour vous ? demandé-je abasourdie... Mon grand-père était un de ses fans absolus et j'ai encore toute sa collection d'ouvrages de vulgarisation !

- Georges et moi avons collaboré longuement sur ce projet, de même que mon prédécesseur. Il est parti fort déçu de ne jamais voir cet objet que nous avons tant cherché.

- On dirait que c'est le lot de ceux qui le cherchent, votre objet...

- Oui, on dirait bien, constate-t-il sombrement. Messieurs, dames, reprend-il soudain, je vais, pour ma part, devoir vous laisser pour le moment. Observez tout ce que vous souhaitez, mais donnez-moi votre réponse dès demain matin. Par précaution, vous signerez l'accord de confidentialité que mademoiselle Sprat vous fera parvenir avant la fin de la journée. J'espère sincèrement vous voir nous rejoindre.

Il adresse un dernier regard à la petite assemblée avant de se tourner vers moi et me sourire. Puis il quitte la pièce.

Les débats éclatent alors de tous côtés à grands coups de « mais c'est impossible voyons » et de « mais puisque je te dis que j'ai déjà retourné toutes les preuves, elles sont indéniables » et de « Vidal-Bosch, on te dit, VIDAL-BOSCH ».

Je décide alors d'aller me présenter rapidement aux trois autres spécialistes et j'apprends qu'il s'agit de Natalia Palenkova, spécialiste de la civilisation scythe. Une de mes amies de fac a d'ailleurs été son assistante. Natalia ne ressemble en rien aux clichés russes : elle est petite et brune. Mais elle semble solide et elle est connue pour être passionnée de triathlon. Je sais qu'elle a participé à plusieurs expéditions efficaces qui ont permis de découvrir de nouvelles traces de la présence scythe en Transylvanie. Elle aurait aussi été à l'origine de la théorie selon laquelle ce peuple aurait entraîné la chute de la culture lusacienne.

Ensuite, il y a Marcus Petrini, pour la civilisation romaine. Marcus est petit et bedonnant mais manifestement plein d'énergie car il ne semble pas tenir en place. Il a notamment étudié le système hydraulique de l'amphithéâtre Flavien et découvert, avec ses collaborateurs, la présence de lions dans les arènes ainsi que, fait plus étrange, de teckels qu'on aurait forcé à combattre.

Enfin, je reconnais Etienne Dorcel, spécialisé en culture hellénistique. Je connais assez peu cet homme qui semble fragile comme une brindille dans son tablier trop grand.

- Bref, nous sommes une brochette de fins connaisseurs des temps passés, pouffe Etienne.

- Depuis quand Abramovicz vous a-t-il recrutés ? leur demande Berto qui revient vers nous, bras dessus bras dessous avec Anton.

- Trois semaines, répond Natalia, avec un léger accent de l'est. Tout ce que j'ai examiné et qui m'était attribué, je m'en porte garante : il dit vrai.

- Pour ma part, enchaine Petrauskas en essuyant ses petites lunettes, si je n'ai pas encore bien saisi le comment du pourquoi, je peux attester qu'on a retrouvé des traces égyptiennes à Mossoul et qu'elles étaient entourées de tout un fatras d'autres éléments d'époques différentes. Comme si quelqu'un s'était amusé à mélanger les pièces d'un puzzle historique pour nous perdre un peu plus.

- Oui, on y a trouvé un skyphos que je peux dater du 5ème ACN dit Etienne, l'air perdu, ça n'a rigoureusement aucun sens, cette histoire.

- Et c'est bien pour ça qu'on va tous foncer, non ? rit Berto.

- Et comment ! exulte Marcus...

Nous passons le reste de la journée à tenter de comprendre tous les éléments à notre disposition, réalisant rapidement que tout consulter nous prendrait des années.

Nous décidons donc de nous répartir le travail de relecture du condensé final réalisé par la dernière équipe en charge du dossier, celle de Vidal-Bosch. Et nous repartons le soir tous convaincus que cette tablette existe et qu'elle semble avoir passé toute l'Histoire à voyager à travers le Monde, sans la moindre explication.

Certains objets ont beaucoup circulé mais ils sont souvent plus récents que cela. Quelque chose ne colle pas mais c'est bien ce mystère qui captive toute la troupe.

Nous quittons donc le bâtiment après avoir signé l'accord de confidentialité.

- Je pense que cela pourrait bien être l'histoire de votre carrière, Nina, me dit Berto, songeur, une fois dans la voiture.

- Je ne sais pas, mais c'est réellement étrange. J'ai la sensation d'être Indiana Jones au début d'une quête...

Au feu rouge, mon vieux directeur se tourne vers moi :

- Vous savez Nina, j'ai rarement eu l'occasion de croiser une étudiante aussi brillante que vous. Vous devez donner une chance à ce voyage.

- Je ne sais pas où ça va nous mener, mais je tiens vraiment à vous remercier : je n'y aurais pas été conviée sans vous !

- Je serai heureux et fier d'avoir contribué au lancement de votre jeune carrière. C'est sincère.

Ses mots me touchent. Je sais que toute sa vie a été consacrée à l'Histoire et qu'il n'a plus vraiment de famille. Nous travaillons ensemble depuis plusieurs années et je sais qu'il lui est arrivé de fêter Noël seul un peu trop souvent. Mes parents étant souvent aux quatre coins du monde, nous avons même passé le dernier réveillon tous les deux, au restaurant, à détailler les dernières nouvelles du monde de l'archéologie. Je l'aime beaucoup, ce vieux bougre...

Les cendres de NînlìnWhere stories live. Discover now