21 octobre

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Aujourd'hui, Leo m'a demandé ce qui était arrivé aux anciens propriétaires de la ferme. Comment sait-il que je n'ai pas toujours vécu ici ? Est-ce si évident ?

Il n'y a aucune photo sur les murs, et les chambres à l'étage sont abandonnées, m'a-t-il répondu quand je lui ai posé la question. Ce n'est pas chez toi.

J'ai eu envie de protester, mais je me suis rapidement rendu compte que je n'ai aucun argument solide. La ferme est l'endroit où je vis. Si je ne me vois pas le quitter, je ne le considère pas non plus comme mon foyer.

Alors j'ai préféré ne rien dire, et lui expliquer comment j'en suis venu à habiter ici. Vous connaissez déjà l'histoire, mais je préfère me répéter.

La ferme appartenait à l'origine à des amis de la famille, un couple sans enfant qui n'ont pas hésité à fuir quand le gouvernement a annoncé que l'humanité était condamnée.

Ils ont dû mourir avant même d'arriver à l'aéroport le plus proche.

Toujours est-il qu'ils ont laissé derrière eux une maison dotée d'un garde-manger plein, d'un potager et d'un verger, ainsi que d'un récupérateur d'eau. Et les poules. Il ne faut pas que j'oublie les poules. Pendant longtemps, elles ont été ma seule compagnie.

Tout ce qu'il faut pour survivre en autarcie.

J'ai toujours pensé qu'ils se sont montrés idiots, à fuir ainsi alors que le monde entier était confronté à la même tragédie. Leo a eu l'air songeur quand je lui ai fait part de mon ressenti.

Ils ont paniqué. Je ne sais pas si j'aurais fait mieux, m'a-t-il confié. Je me rappelle le jour où le gouvernement a passé son dernier message... C'était l'anarchie. Tu t'en souviens ?

Comme si c'était hier.

Ce n'est pas un mensonge. Ce jour-là, l'alerte est tombée alors que j'étais encore au lycée. Ma mère est venue me chercher en urgence, et nous avons aussitôt quitté la ville pour la ferme. Je connaissais un peu l'endroit, y ayant passé quelques week-ends pendant mon enfance, quand on n'avait pas les moyens de partir ailleurs.

Je n'aurais jamais cru que j'y passerai le reste de ma vie.

Et tes parents ? m'a demandé Leo.

J'aurais pu ignorer sa question. Je n'irais pas jusqu'à dire que je connaissais Leo, mais je sais comment il réagit dans ce genre de situation. Il n'aurait pas insisté, et la conversation se serait éteinte sur une énième note amère.

Ce n'est pas ce que je voulais.

Ils ne sont pas restés ici, ai-je confié.

Pourquoi ? Comme tu dis, vous aviez tout pour survivre en autonomie, loin des foyers infectieux de la ville.

C'est ce que je pense maintenant, avec du recul. À l'époque, on... Je ne sais pas ce qui leur a traversé l'esprit, mais ils ont voulu retourner en ville. Je n'ai jamais su pourquoi. Toujours est-il qu'ils m'ont dit de rester ici et de ne pas les suivre.

Ils t'ont abandonné.

Mon premier réflexe a été, encore une fois, de me défendre. Pourquoi m'est-il aussi compliqué d'entendre la moindre critique ?

Mais j'ai fait l'effort de réfléchir aux mots de Leo. Ils étaient forts. Lourds de sens et de conséquences. Ils m'ont abandonné. Les mots ne me paraissent pas autant étrangers qu'ils devraient l'être. Après tout, on parlait de mes parents, les deux êtres censés m'aimer et me protéger.

Et ils m'ont laissé ici, complètement seul.

Je n'ai pas remarqué que je pleurais jusqu'à ce que Leo tende le bras pour essuyer une larme. J'ai reniflé, surpris, mais je ne me suis pas dégagé. Leo a hésité, avant de recommencer.

ses doigts, si doux sur ma joue

Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça, mais je n'ai pas pu m'en empêcher.

Je me suis laissé aller à son geste, enfouissant mon visage dans sa paume.

Je n'ai pas voulu voir la pitié sur son visage.

menteur menteur menteur menteur menteur menteur menteur menteur

HIRAETHOù les histoires vivent. Découvrez maintenant