63 - Insensé

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Après un bon repas et un long bain chaud, je dors admirablement bien.
Ça me fait étrange d'être de retour à Minas Tirith, berceau de mes pires moments de doute mais aussi de notre première fois. Cette nuit d'angoisse et d'amour restera à jamais gravée dans ma mémoire.
Je m'éveille alors que le soleil est déjà levé et je suis surprise de voir qu'Elrohir n'est plus dans la chambre. Je comprends ce qu'il ressent quand je m'en vais sans rien lui dire...
Je prends le temps de me lever, vérifie ma tenue pour la cérémonie puis je sors de la chambre. Je retrouve mes amis ainsi que mon frère dans un petit salon où un petit déjeuner semble m'attendre.
Je me dirige vers la table quand je remarque Esgar confortablement installée sur les genoux d'Elrohir qui la caresse machinalement tout en discutant.

– Tu sais que je ne vais pas la garder, fis-je en passant avant de m'arrêter net. Tu lui as fait un collier ?

 – C'est moi, répond Anar visiblement content de lui. Je trouve que cette couleur lui va bien.

 – Je ne compte pas la garder...

 Anar me sourit.

 – Tu lui as certainement sauvé la vie, tu es à présent responsable d'elle.

 Ce qui ne faut pas entendre !

 – Je ne suis responsable de rien du tout.

 – Vous lui avez donné un nom, me rappelle Legolas. C'est bien pour une raison.

 – Puis elle a l'air très familière des humains, ajoute Elladan. Ça sera difficile de la convaincre de rester loin des Hommes, même pour sa propre sécurité.

 Ils ont décidé de se liguer contre moi ou quoi ?
D'un regard, je demande du soutien à Elrohir qui se contente de hausser les épaules.

 – Elle est adorable, surtout sans toute cette boue.

 Je tique.

 – Tu l'as lavé ?

 Elrohir s'en tient à un sourire tandis que les autres se marrent. J'abandonne le combat et je vais manger. Afin de manifester mon désaccord, je m'installe aussi loin que possible de ces Elfes manipulateurs.
Alors que je mâche en ruminant, Esgar saute des genoux d'Elrohir pour venir à moi. Elle s'assoit et me dévisage de ses grands yeux noisette. A présent lavée, elle aborde un pelage couleur crème aux reflets roux et son esprit déborde d'affection et de joie de vivre, elle n'a aucune crainte comme en avait Le Warg.
C'est vrai qu'elle adorable...
J'ai conscience que les autres m'observent mais je n'y peux rien, ils ont raison. Il serait irraisonnable de l'abandonner à son sort en pleine nature.
Je soupire avant de la caresser, elle a eu raison de moi.
J'entends les autres échanger des commentaires que j'ignore copieusement puis je prends Esgar sur mes genoux. En pensée, je lui promets qu'elle ne sera plus jamais seule, je serais toujours là pour elle.
Elle me lèche le visage avant de s'installer confortablement. Autant qu'elle en profite, je ne pourrais pas la porter ainsi encore longtemps.


 Après cet interlude, on s'active.
L'heure de la cérémonie approche et la cité ne tarde pas à entrer en ébullition. Tout le monde se prépare, on se hâte d'installer les dernières décorations et de trouver une bonne place. Les rues sont pleines de gens souriants, d'enfants jouant et gardes à l'armure rutilante.
Après avoir enfilé ma robe et avoir accepté de l'aide pour me coiffer, je suis Elrohir qui m'entraine vers le plus haut parvis. On s'installe aux premières loges, privilège de connaitre personnellement le nouveau Roi du Gondor.
La cérémonie est magnifique, il n'y a rien à redire. Tout est parfait, les discours, les mises en scène et pour finir le couronnement.
Je suis si heureuse de voir Aragorn accepter son héritage avec tant de sérénité. Il fera un excellent souverain, j'en suis certaine.
C'est étrange de repenser à nos débuts. Notre première rencontre, les premiers liens que nous avons tissé puis cette forte amitié qui en a découlé.
Je crois pouvoir affirmer qu'Aragorn est la personne que je respecte le plus sur cette terre, bien avant Elrond ou même Gandalf.
Je suis tirée de mes rêveries quand Aragorn remercie les Hobbits pour leur courage dans cette épopée avant de s'agenouiller devant eux. On l'imite tous. Sans eux, sans le courage et la dévotion de Frodon et Sam cette quête n'aurait peut-être pas connu cette fin joyeuse.
Il y a certes eut des morts, des disparitions tragiques et de grands moments de doute mais au final c'est la Terre du Milieu toute entière qu'ils ont sauvés.
De cela, nous leur sommes tous reconnaissant.
Alors qu'on se redresse, je serre la main d'Elrohir qui me sourit. Je le regarde amoureusement quand Aragorn se tourne vers nous. Son regarde se pose sur moi et j'ai peur de ce que je crois y discerner.
Courageusement, je tente de me glisser derrière Elrohir mais Aragorn sourit.

 – Ne vous cachez pas, Isil, fait-il amusé. Même si vous aimez rester dans les ombres, aujourd'hui la lumière est sur vous. Sachez qu'à mes yeux vous avez donné vie au mot même de Loyauté. Par-delà tous les dangers possibles et imaginables, vous avez fait face, même là où on ne vous attendait pas, et bien souvent en mettant votre propre vie en danger. Durant toute cette quête, parfois insensée, vous avez été le lien entre nous tous, le ciment de cette Communauté et la preuve même qu'un geste désintéressé peut avoir d'immenses répercutions.

 Aragorn marque une pause tandis que je ne peux que le fixer. C'est les plus belles paroles que l'on ait adressé à mon égard. Ce n'est peut-être rien mais savoir qu'il m'estime et qu'il me tient en ami me touche profondément.

 – Vous avez été la première pierre à cet édifice, sortit de nulle part et nous apportant un sursis qui nous pensions impossible. Par vos actes et votre courage sans contrepartie, vous avez écrit votre propre légende et permit de bâtir celle de la destruction de l'anneau de pouvoir. Soyez fière de vous, Isil, car vous avez toujours été du bon côté. Vous êtes la Lune Ardente qui a éclairé notre route jusqu'à ce dénouement.

 Je sens des larmes couler sur mes joues mais je ne fais rien pour les retenir ou les essuyer. Toutes les larmes ne sont pas tristesse, certaines ne sont pas à cacher.
Soudain Aragorn s'agenouille à nouveau, rapidement suivi par toute la foule. Je me retrouve seule, debout au milieu de tous ces gens qui m'expriment leur respect.
Jamais je n'avais pensé vivre cela un jour. Que les gens m'admirent, que je ne sois plus un danger pour eux...
Comment en suis-je arrivé là ? A quel moment ma vie a-t-elle prit un tel tournant ? Et comment ai-je fait pour ne pas le voir avant ?
Je chasse toutes mes questions de mon esprit et j'avance vers Aragorn. Je lui prends les mains l'incitant à se relever, avant de l'enlacer. Je me fous des gens et de ce qu'ils peuvent penser.

 – Merci, soufflé-je à l'oreille de celui qui restera pour moi notre rôdeur. Merci de m'avoir accepté parmi vous.

 – Je ne vois aucune autre alternative, vous deviez demeurer à nos côtés.

 Je me contente de hocher la tête, je n'ai pas les mots et ma gorge est trop nouée pour essayer de parler.
Je relâche le nouveau Roi avant de reculer jusqu'à Elrohir qui me prend la main avant de la serrer. La foule se redresse puis acclame leur nouveau souverain.
D'un geste vif, Elrohir essuie les larmes qui restent sur mes joues.

 – Ça va ? s'enquit-il.

 Je tourne la tête pour lui sourire.

 – Mieux que jamais.



***



Je savais que les gens du Rohan fêtaient dignement les victoires, mais ceux du Gondor ne sont pas en reste.
Les festivités ont envahi toute la cité. Partout, on rit, on danse, on lève son verre au nouveau Roi et à un avenir meilleur.
Le couronnement a eu lieu au matin et je pressens que la liesse va durer des jours entiers. Peu habitué à autant d'agitation, je finis par m'éclipser à la recherche d'un peu de calme. Elrohir me conduit alors aux écuries où l'on récupère nos montures avant de sortir de Minas Tirith.
Equinoxe s'excuse pour l'échappée Esgar, un palefrenier intrigué par ses gémissements a ouvert la porte du box, permettant à cette petite furie de s'en échapper. Je ne lui en veux pas et je suis contente de retrouver un peu de calme.

 – Depuis le temps qu'ils attendent la venue d'un Roi, ils vont la fêter autant qu'ils le peuvent, fait Elrohir chevauchant à mes côtés.

 – Je les comprends, les temps sont enfin aux réjouissances après toutes ces heures sombres.

 Elrohir acquiesce d'un hochement de tête.
 On ne veut pas se le dire mais on sait sur quel chemin on mène nos montures. Au pas et en silence, on remonte le sentier que l'on a pris il y a déjà si longtemps et du quel, je ne suis pas revenue...
Tout semble pourtant différent. Il n'y a pas cette peur sourde qui s'accentue à chaque pas, cette noirceur omniprésente et le sentiment d'avancer vers sa propre fin.
La terre vers laquelle on se dirige est toujours inhospitalière mais il n'y a plus de mal qui s'y cache.
Arrivée en vue des anciennes portes de ce royaume maudit, je marque un temps d'arrêt.
Il n'y a plus de murailles, plus de portes surdimensionnées, juste un précipice et au milieu de la plaine qui a vu notre dernier combat trône un immense chêne solitaire.
On s'avance au pas et je ne tarde pas à sentir son esprit somnolent. Il se sent bien ici, il veille. Je regarde vers le précipice, on est passé juste à temps, même Equinoxe ne pourrait le franchir à présent. On a été fou de bondir dans ce royaume de morts...
Je n'ose imaginer le désarrois d'Elrohir quand il a dû comprendre. On n'en a jamais vraiment parlé et je pense que c'est mieux ainsi, il faut savoir oublier certaines choses.
Elrohir s'approche alors du chêne qui semble être ici depuis des décennies.

 – Comment a-t-il poussé ? demandé-je curieux.

 – Un aigle a fait tomber une branche de chêne qui a pris racine ici... Il a encore grandi depuis la dernière fois. On le dirait en ces terres depuis un siècle.

 J'approche Equinoxe pour poser une main sur le tronc. Il est serein.

 – Tu es le gardien de ces lieux, soufflé-je. Et en mémoire d'un grand Elfe, je vais te nommer Tulca.

 Elrohir me sourit. Il sait très bien à qui appartient son nom.
Mon protecteur de toujours. Mon père.

Tome 3 - La lune ardente de FangornTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon