Chapitre 6 : La Figure de l'Ange à la Fenêtre d'Orient

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La science a fait de nous des dieux avant même que nous méritions d'être des hommes.
Pensées d'un biologisteJean Rostand

***

    Ce soir, je regarde les flammes danser. Elles éclairent le rebord de ma fenêtre, éclatent en un millier d'étincelles, qui se répandent en ribambelle dans l'obscurité funeste. Je les contemple en bas, tous ces malheureux et malheureuses, qui vont, viennent dans la rue enténébrée. Cependant, ils se font de plus en plus rares ; seuls les plus désargentés restent à la merci des brutes et autres croque-mitaines. Ils me font pitié.

    Dieu nous a-t-il créés à son image pour que nous la souillions ainsi ?

    Je ne puis croire chose semblable possible. Ou faudrait-il que je renie son existence pour justifier des obscénités et des atrocités qui ont lieu sous mes yeux.

    Non ! Dieu existe et il n'appartient qu'à nous de nous élever vers lui.

    Les églises, quelle que soit leur essence, nous ont trompés depuis le début, car elles sont issues des entrailles imparfaites de l'homme, alors les puissants s'en sont emparés pour mieux asseoir leur pouvoir.

    Marx ne se fourvoie pas lorsqu'il proclame que la religion est l'opium du peuple, elle le maintient dans l'ignorance de la véritable nature de Dieu. Dieu est en nous, quelque part dans les replis de notre esprit. Voici, la vérité, et il n'appartient qu'à nous de la révéler. Seulement, nous aurons besoin d'un guide.

      N'était-ce point le désir caché de mon oncle ?

    Dans ma tour de solitude, le feu se meurt et la rue s'évanouit dans la nuit. Hélas pour moi, celle-ci fait place aux prunelles ardentes de ce démon croisé ce tantôt. Elles sont là. Elles flottent, à hauteur de ma fenêtre, sous mes yeux ; deux billes ricanantes dont les pupilles ne sont plus que des abîmes de vices. Je ne trouverai le repos que, lorsque j'aurai levé le voile sur le mystère de leur origine, et pour cela il me faut aller de nouveau au domicile du docteur Jekyll.

    Demain, à la première heure, je me rendrai à son cabinet, me faisant passer pour un patient. Seul, ce... Hyde m'a reçu ce jour-là ; du docteur, je n'en ai pas vu trace. Je pourrai donc user de ce subterfuge grossier sans éveiller auprès de lui le moindre soupçon. Pourtant le doute est en moi. Quelque chose au fond de mon âme me crie que j'ai tort de procéder ainsi. Jekyll ne m'a jamais vu. J'en suis certain. Alors pourquoi ai-je tant d'appréhension à l'évocation de notre future rencontre. Je souhaite seulement ne jamais recroiser cet homme ou je crains de ne perdre à jamais ma raison qui, déjà, s'effrite.

    Je devrais fermer cette fenêtre, le froid, le smog pénètrent ma chambre et l'imprègnent de leurs ténèbres.

    Mais pourquoi n'en fais-je rien ? À cause de lui ! Il est là qui flotte tout autour de moi. Où que je pose mon regard, il me contemple ; je l'entends qui se moque de moi en ricanant.

    Je passe une main sur mon front ; il est brûlant. Malgré mes membres qui tremblent, je me force à clore cette fenêtre sur la nuit et à en tirer les rideaux. Cependant, au même instant, je crois le surprendre. Non, ce n'est pas Hyde. Le regard de cet homme n'est pas habité par les mêmes démons.

Frankenstein ou le Prophète RessuscitéWhere stories live. Discover now