16. Nos corps

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 LEV


J'observe d'un air distrait Gian jeter le mouchoir qui lui a permis d'étancher le flot de sang qui sortait de son nez et me triture les doigts. Je ne parviens pas à comprendre les réactions de mon corps face à cet imbécile arrogant et cela m'agace profondément. Je ne suis pas censé être réceptif aux phéromones d'alpha, que ce soit de par ma nature d'omega récessif ou par l'entraînement que je me suis imposé. Mon odorat est dérisoirement faible ; mon contrôle de moi-même excessivement fort. La combinaison des deux devrait me préserver de toute phéromone d'alpha. Et pourtant, il y a ce connard.

Est-ce parce que je suis entré en chaleur pour la première fois devant lui ? Un lien s'est-il créé entre nous à ce moment-là ? Mais comment ? Pourquoi ? Un alpha dominant n'aurait même pas dû être réellement excité à ma vue, à peine émoustillé. Mais Gian semble véritablement attiré par mes phéromones et ça, je ne le comprends pas.

— Cligne des yeux le communiste, tu fais assez flipper comme ça.

La remarque railleuse de Gian me ramène à la réalité et je soupire en passant mes mains sur mon visage. J'en profite pour renifler discrètement mes doigts. Rien.

— Tu sais, quitte à faire le clébard, tu ferais mieux de sentir m...?

— Tu sens réellement mes phéromones ? le coupé-je sans réellement l'écouter.

Gian s'interrompt au milieu de sa phrase et son visage retrouve un air sérieux.

— Pourquoi tu me demandes ça ?

— Parce que je ne comprends pas.

Cette fois, je passe une main rageuse dans mes cheveux avant de l'enfoncer dans l'une des poches de mon pantalon à la recherche de mon paquet de clopes. J'en coince une au coin de mes lèvres et l'allume en fronçant les sourcils.

— Personne n'a jamais senti mes phéromones et n'y a encore moins réagi.

— Ça te dérange ?

— Ça me perturbe, avoué-je sincèrement. J'ai toujours réussi à repousser ma nature d'oméga. Je ne comprends pas pourquoi elle s'éveille en ta présence.

— Parce que je suis incroyablement charismatique ?

Mon regard blasé croise celui, amusé, de Gian.

— Ou parce que je suis ton âme-sœur ? insiste-t-il en ricanant.

— Tu veux ma mort ?

Je grimace à la simple image de Gian et moi formant un couple parfait, une paire harmonieuse qu'aucun obstacle de la vie ne saurait séparer. Je me retiens de rire. Elle aurait bonne gueule la paire !

— Quoi, tu n'y crois pas ?

Gian ne se départit pas de son air moqueur. Je ne réponds pas. Évidemment que je ne crois pas aux âmes-sœurs ; plus personne n'y croit. On a longtemps cru que chaque oméga était destiné à un alpha et inversement. De nombreux récits ont ainsi relaté des histoires d'amour passionnelles et irrépressibles entre deux personnes qui semblaient faites l'une pour l'autre. Les légendes racontaient que les couples ainsi formés ne pouvaient plus vivre l'un sans l'autre, qu'ils étaient irrémédiablement liés et que la force de leur amour dépassait l'entendement. La réalité, bien moins romantique, est que cette histoire d'âme-sœur a été inventée il y a des siècles de cela pour obliger alphas et omégas à s'unir et à former des familles posées, à l'extrême opposé de la nature frivole de ces deux espèces. Jusqu'alors, alphas et omégas se contentaient de baiser ensemble, quelques gamins naissaient parfois, mais chacun reprenait sa route et continuait de mener une vie de débauche. Quant aux omégas qui s'étaient fait marquer, la plupart dépérissaient dans leur coin, complètement oubliés par leurs partenaires qui eux, finissaient de perdre la tête en se fondant dans la chaleur insuffisante de centaines d'autres omégas. La situation commençait à devenir ingérable, alors des comités de scientifiques ont commencé à expliquer qu'un lien surpuissant, quasi-mystique, existait entre alphas et omégas, et que la passion que ressentaient certains d'entre eux signifiait simplement qu'ils avaient trouvé leur âme-sœur. Seule cette dernière pouvait être marquée et lorsque c'était le cas, ils se devaient de rester ensemble pour le restant de leurs jours et d'assouvir tous les besoins de l'autre au risque de trouver la mort précocement.

Les dents longuesWhere stories live. Discover now