24. Associés

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 GIAN


Les secondes s'égrainent et l'obscurité se fait plus oppressante dans cet entrepôt délabré que nous avons choisi comme lieu de réunion. Face à moi, les yeux bridés ne cillent pas et le visage pâle reste plus tiré qu'un masque de cire.

Attablés l'un en face de l'autre, nous nous fixons sans qu'aucun ne se résolve à baisser le regard. La tension devient palpable. Derrière lui, six gars armés sont prêts à dégainer leurs flingues à tout moment. A mes côtés, cinq des miens sont sur leurs gardes. Quelque part dans la pièce, Lev observe tout avec la discrétion qui lui est propre.

— Cent cinquante tonnes, déclaré-je posément. C'est l'accord qui a été passé. Rien ne sera renégocié si vous ne remplissez pas votre partie.

L'homme plisse les yeux d'un air mécontent. Je me demande s'il y voit encore quelque chose.

— Je n'ai pas signé cet accord, siffle-t-il. Mon frère n'est plus de ce monde et c'est moi qui décide maintenant. Il est hors de question que vous nous taxiez 20% de la marchandise. Si vous voulez vos cent cinquante tonnes, j'exige que vous ne récupériez que 10% des produits. Et je me trouve bien généreux.

— Vous n'avez pas l'air de comprendre où est votre place. J'accepte d'écouler votre marchandise sur mon territoire, je vous offre un passe-droit incroyable pour élargir votre commerce ; vous devriez être au sol en train de lécher mes pieds pour me remercier.

L'autre semble révolté par mes mots. Sans rien perdre de mon attitude assurée, j'appuie plus confortablement mon dos contre le dossier de la chaise et soutiens le regard agacé qui me toise.

Mon interlocuteur du jour n'est pas facile. Il y a trois semaines, le chef de clan de la mafia chinoise avec laquelle je faisais mes affaires a été assassiné. Son frère a pris le relais, mais ce fils de pute n'a pas l'air de comprendre à qui il a affaire. La dernière cargaison de contrefaçon ne comportait que la moitié de la quantité requise et ce connard ose en plus renégocier la taxe que nous leur prélevons pour l'honneur de pouvoir écouler leur merde dans notre pays.

— 10% de la marchandise, s'entête le bridé en fermant ses poings sur la table. Vous feriez mieux d'accepter, vous avez bien plus à perdre si nous coupons tout lien avec vous.

Un ricanement moqueur s'échappe de mes lèvres et je penche la tête sur le côté en haussant un sourcil.

— Petit fils de pute arrogant, penses-tu avoir plus de pouvoir que moi ? Crois-tu être en position de me menacer ?

— Vous ne devriez pas parler aussi vite.

A ces mots, tous ses hommes arment leurs flingues et l'un d'eux colle le canon du sien contre ma nuque. J'entends mes gars réagir derrière moi, mais aussitôt, d'autres adversaires sortent de l'ombre et les entourent. Nous sommes désormais en infériorité numérique.

L'homme qui colle son arme contre ma peau se penche vers moi.

— Alors, qu'est-ce que ça fait de savoir que tu as perdu ?

Sa voix aiguë m'agace. Étirant mes lèvres en un petit sourire, je hausse les épaules et désigne son chef d'un signe de tête.

— Tu ferais mieux de surveiller ton boss au lieu de chanter victoire.

— Qu'est-ce que...

La fin de sa phrase s'évanouit dans un étranglement de surprise et je le sens tressaillir dans mon dos.

Face à nous, tranquillement installé derrière le bureau, Lev a collé la lame de son canif contre la gorge du nouveau chef de la mafia chinoise. Comme d'habitude, personne ne l'a vu venir, personne ne l'a remarqué, personne n'a anticipé ses mouvements. Alors qu'ils pensaient me forcer la main en jouant sur leur surnombre, persuadés que leur boss était en sécurité, les Chinois découvrent l'élément perturbateur de leur plan. Mon élément perturbateur.

Les dents longuesDonde viven las historias. Descúbrelo ahora