Prologue

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Il pleuvait.

Petit à petit, les gouttes venaient frapper les tuiles en argile, faisant résonner une drôle de mélodie dans la petite pièce. Ça aurait dû être reposant, harmonieux. Seulement, l'air était lourd, terriblement lourd, comme si toute l'humidité qui aurait dû gonfler les souffles graves du vent avait disparu sans aucune raison apparente.

Beaucoup de gens ne s'en rendaient probablement pas compte, parce que c'était métaphorique. Sous les yeux brillants des enfants, les nuages sombres déversaient leurs pleurs habituels sur le royaume, les flaques reflétaient le firmament noir. Mais pour d'autres, c'était angoissant, pesant, déstabilisant. Le monde avait arrêté de tourner, qui sait si le soleil se lèverait demain ?

- Il n'y a plus de mana dans l'air.

Elle le ressentait, son cœur qui s'affolait malgré elle dans sa poitrine en était la preuve incontestable. Elle avait l'impression d'étouffer – qu'était un mage sans sa magie ? Elle pouvait ressentir le désespoir qui rongeait ses comparses sans même les voir, parce qu'elle savait. Elle savait qu'il n'y avait rien de normal, que la situation était catastrophique ; qu'il fallait trouver une solution, et vite. Parce que c'était invivable, parce qu'elle avait l'impression de perdre connaissance à chaque respiration, parce que sans mana, les mages étaient faibles. Terriblement faibles.

-  C'est totalement inconcevable, souffla cependant la magicienne pour elle-même en posant ses genoux contre le parquet un peu sale. 

Ses doigts tracèrent alors mécaniquement les symboles mystiques qu'elle connaissait par cœur ; il ne fallut que quelques secondes pour compléter le cercle, quelques autres pour constater que sa théorie était juste. En effet, la jeune femme tendit finalement trois doigts vers le dessin, infusant dans l'œuvre magique une infime quantité de mana : une onde imperceptible vint alors caresser les traces gravées dans le bois, illuminant soudain la pièce d'une légère lumière bleutée – aussi pure que les sources gardées par les nymphes, aussi douce que le ciel d'après-midi. Parce que le pentacle n'avait servi qu'à recevoir l'énergie magique pure : si celle-ci courrait encore dans les airs, il se serait activé seul.

La magicienne se laissa de ce fait retomber dans un long soupir, pourquoi avait-elle gâché le peu de magie qu'il lui restait pour, en effet, démontrer que le monde allait mal ?

Dehors, il pleuvait toujours.

Dehors, nombre de mages devaient eux aussi paniquer en voyant leur unique compétence s'évaporer comme si elle n'avait jamais existé. Que leur resteraient-ils alors ? Qu'auraient-ils comme arme contre les autres races ?

Ce monde allait devenir encore plus dangereux, encore plus injuste.

Mais sans pouvoir, que pouvait-elle y faire ? Elle était une victime, seul son sang pourrait la rendre héroïne. Mais était-elle prête à s'ouvrir les veines pour sauver un monde qui ne connaîtrait jamais son nom ? 






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