Chapitre 31

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La vue dans le miroir était honnêtement ... troublante. Aeris était noble, bien que sa mère ne l'ait jamais réellement traînée dans les soirées mondaines. Toutes les raisons étaient bonnes pour éviter le palais royal. Pourtant, elle avait déjà vu les robes fastes et la soie qui retombait en dentelles, les maquillages somptueux et les bijoux miroitants. C'était une vue qu'elle ne pensait jamais apercevoir sur elle-même, perdue au fond du palais de Quartz ; c'était la vue qui lui faisait face, alors qu'elle tentait de pas laisser transparaître le surplus d'émotions qui dévastait chacune de ses cellules.

- Vous êtes magnifique, Aeris, confessa finalement Thea au bout de plusieurs longues secondes.

C'étaient peut-être même des minutes, elle n'était pas trop sûre.

- C'est grâce à ton travail, s'empressa néanmoins de répondre cette dernière. Je te remercie. Sincèrement.

- Comme vous l'avez dit, c'est mon rôle. Mais si je puis me permettre ...

Thea s'approcha, posant délicatement ses mains froides sur les joues brûlantes de celle qu'elle servait. Leur regard se croisèrent un instant, laissant malgré elle à sa domestique le temps de lire l'entièreté des songes qui le traversait.

- Être plus confiante vous rendrait encore plus ravissante. Laissez cet air soucieux ici et profitez du bal d'automne.

- ... C'est plus facile à dire qu'à faire.

Ce n'était pas son état habituel, et elle le savait plus que quiconque. Et elle détestait ça.

Et plus elle détestait ça, plus la douleur la défiait. Sous la robe carmin qui venait épouser sa poitrine en dévoilant la ligne de ses épaules, le bandage blanc comme neige sonnait faux – elle ne pouvait cependant pas s'en défaire. Sa blessure devenait une part d'elle qu'elle aurait voulu faire disparaitre, plus vite, plus viscéralement.

- Vous ne paraissez pas être le genre à vous laisser dévorer par les émotions comme ça. Relevez la tête.

- Est-ce que je suis si facile à lire que ça ... ?

- Vous savez, susurra alors Thea en reculant finalement, en tant que domestiques, nous passons beaucoup de temps aux côtés des gens que nous servons. Nous voyons des facettes d'eux qu'ils ne montrent à personne, consciemment ou non.

Avait-ce été comme ça ... pour ses parents ? Qu'avait découvert sa mère dans les bras de son père ? Quels évènements avaient poussé Aeris a repensé à cela ? C'était un peu amer, à vrai dire.

- Cela ne fait que quelques semaines, mais je suis heureuse d'être à vos côtés, Aeris, reprit pourtant Thea. Alors allez au bal la tête haute, montrez leur que vous n'êtes pas une jeune fille sans défense. N'oubliez pas la douceur de vos mains.

Une pointe d'incompréhension germa dans l'esprit de la concernée, alors qu'en jetant un regard à ses paumes, il lui sembla que l'air fier de sa domestique faisait soudain sens.

Ses mains n'étaient, malheureusement, pas douces : elle avait passé les deux derniers jours au fond du laboratoire de Lato, à percer des secrets d'ordre divin. Elle avait passé les quinze dernières années de sa vie à travailler sans relâche, à perfectionner l'art qu'était la magie et la création de sortilège. Elle ne pouvait peut-être pas les activer à ce moment précis, mais Thea n'avait pas tort : l'ego ne se trouvait pas dans l'instant présent – c'était la fierté, la détermination, les larmes et la rage d'une vie entière, d'un but précis.

- Il est l'heure d'y aller, annonça alors Aeris d'une voix calme.

- Faites attention à vous, répondit avec une simplicité chaleureuse Thea, un sourire au bout des lèvres.

apocryphae.Where stories live. Discover now