Chapitre 3

2.4K 88 62
                                    

Je ne vois plus très souvent Elliot. Depuis qu'il est en master. Il croule sous les devoirs et quand il n'a pas cours, il s'enferme dans sa chambre, toute la journée, oubliant le monde extérieur. Mais ce soir, c'est la seule personne vers qui j'ai envie de me tourner. Mon grand frère est mon phare dans la tempête. Quand je toque notre signal secret à la porte – quatre coups, pause, deux coups – il ne lui faut pas plus d'une minute pour ouvrir. Je n'ai pas le droit d'être dans le dortoir des garçons, mais la directrice est ma mère alors, si je me fais attraper je ne risque pas grand chose, à part un sermon.

Je pénètre dans sa chambre, qui est tout sauf celle d'un étudiant lambda. Nous sommes à Redwood. Son lit king size est recouvert d'un édredon en plumes d'oie, et les murs taupe sont décorés avec ses diplômes encadrés, des photos de lui en train de jouer au football et des posters de ses groupes préférés.

Ses cheveux noirs sont ébouriffés, il a la mine vitreuse. Il n'a très certainement pas dormi depuis des jours, ses yeux verts sont éteints et les poches en dessous. C'est la seule différence entre nous, je n'ai pas hérité de la chance d'avoir des yeux clairs.

— Ellie ? Tu pleures ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Je dois fracasser le crâne de qui ?

Il me prend dans ses bras et la chaleur qui s'en dégage me réconforte déjà. Comme le veut notre rituel, à chaque petit chagrin sa partie de jeux de société. Il balaye ses manuels de son bureau en acajou et commence à sortir les dominos de leur étui en métal. C'est Maggie qui nous a appris à y jouer. On pouvait y passer des après-midis.

— Rien... je me suis mise dans le pétrin toute seule. Ne te fâche pas, surtout.

Je prends mes sept dominos en reniflant et je lui fais le récit de la soirée, et à mesure que j'arrive à la fin de l'histoire, le visage de Elliot se durcit, et pas parce qu'il est en train de perdre la partie. De toute façon, il aurait bien fini par l'apprendre vu le monde qu'il y avait. J'essaye de m'en convaincre pendant que je regrette d'être venue lui raconter tout ça. Je ne compte plus les fois où, quand j'étais plus jeune, il s'est attiré des ennuis parce que je me suis plaint de Ace. Elliot est du genre à s'exprimer avec ses poings, au grand désarroi de notre mère.

— Ellie, c'est vraiment noble de ta part, mais s'il te plaît, ne te mets plus en danger pour quelqu'un que tu viens de rencontrer. Si un de ces connards ose encore ne serait-ce que toucher à un seul de tes cheveux, je...

Il s'arrête en plein milieu de la phrase, soit bouillant de colère, soit parce qu'il s'aperçoit qu'il ne me reste plus qu'un seul domino à jouer. Je ne sais pas trop.

— Je ne suis pas comme ça, Elliot. Elle est nouvelle et je voulais pas qu'ils profitent d'elle. Le plus surprenant, c'est que... c'est Ace qui m'a sortie de là. Je n'arrive toujours pas à y croire.

Elliot m'observe, mais pour une fois, je n'arrive pas à décrypter son expression.

— Et donc quoi, tu l'apprécies, maintenant ? Il t'a quand même chassé de chez lui comme une malpropre.

— Non, je le déteste toujours autant. Ace est le symbole de tout ce que je déteste. Il est arrogant, égocentrique, il se croit tout permis. Il aime se moquer des autres, les humilier, et il s'en carre complètement de leur ressenti.

Mon frère ne répond pas, et fronce les sourcils en réfléchissant à son prochain coup.

— Sans compter qu'il a dû te faire quelque chose de grave pour que tu le haïsses à ce point, même si tu ne veux rien me dire.

En évaluant toutes ses possibilités, il se gratte la tempe. Et sans me regarder, il répond :

— Ellie, je sais ce que tu essaies de faire, mais tu perds ton temps. Et pour la énième fois, je t'en supplie, ne t'approche plus de Ace. Ça vaut pour ses amis aussi. Je ne comprends même pas que je doive te le répéter, encore.

Poison (terminée)Where stories live. Discover now