Chapitre 15

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— Je ne pensais pas vous revoir de sitôt Ellie, je suis fière de vous.

Ce que le Docteur Bay ne sait pas, c'est que derrière l'honoration de ce rendez-vous se cache une Maggie adepte de chantage affectif. Ma sorcière bien-aimée me connait très bien.

Si elle veut que je fasse quelque chose, elle n'a qu'à dire "fais-le pour moi, s'il te plaît". Elle sait que je préfère faire les choses pour les autres plutôt que pour moi-même. Que j'ai tellement peu d'estime pour ma personne que je me nourris avidement des besoins des autres.

Chaque fois que je pénètre dans le bureau de ma psychiatre, j'ai l'impression de le redécouvrir. Je ne suis plus très certaine que les tableaux abstraits aux couleurs vives accrochés aux murs étaient là, la dernière fois. Je n'aime pas l'art abstrait, je n'y comprends rien. Je préfère les mots. Ils ont tellement de pouvoir.

Je remarque également des photos de famille sur son bureau. Parfois, j'oublie qu'elle a elle également une vie, qu'elle doit aussi avoir ses problèmes. Elle doit probablement consulter un psy, elle aussi. Entendre des histoires difficiles à longueur de journées doit être pesant. Je suis imperméable à tout ce qui concerne les personnes auxquelles je ne suis pas liée émotionnellement. Je me demande si cela fait de moi quelqu'un d'égoïste.

— Alors, comment ça va aujourd'hui ?

Elle s'assoit en face de moi en croisant ses longues jambes. Sa jupe fendue laisse apercevoir la douceur dont elles font preuve. Ses patients doivent être ravis. Je l'ai toujours trouvée très jolie et féminine. Tout le contraire de moi, qui traîne en jogging la plupart du temps. Je décèle chez elles des traits asiatiques et espagnols.

— Vous savez, le mur derrière vous, il compte cinq cent quatre-vingt-treize carreaux. Et quand je les ai comptés, je ne sais plus quelle séance c'était, je me suis gratté le bras presque jusqu'au sang. Je ne suis pas normale, alors je ne vois pas comment je pourrais aller bien.

Je regrette toujours quand je suis dure avec elle, mais si je ne parle pas, je me retrouve à faire des exercices de respiration qui m'angoissent encore plus.

— Nous en avons déjà parlé Ellie, vous n'êtes pas la seule à être comme vous êtes. Et en plus, de toute façon, c'est quoi, la norme ?

— Ressembler à la plupart des gens, je réponds mécaniquement.

— Cela n'a pas l'air très excitant.

Elle marque un point. Outre les exercices de respirations débiles, elle m'offre souvent la possibilité de voir les choses sous un autre angle.

Elle a raison, si j'étais ordinaire, je m'ennuierais peut-être comme un rat mort. Ou peut-être que je ne me poserai pas ce genre de question existentielles inutiles.

— En parlant d'excitant... vous avez lu Madame Bovary ?

— Non, je ne crois pas.

— C'est de la littérature étrangère. Un roman français.

— Oh, je suis ravie que tu t'intéresses à cette partie de ton identité.

J'ignore son allusion à ma mère.

— En bref, Emma a grandi en lisant des romans d'amour. Sa seule ambition est de rencontrer le grand amour. Le genre d'amour qui noie les êtres dans la passion, dans lequel on se donne tout entier, irrévocablement et inconditionnellement. Le genre d'amour qui permet de s'oublier soi-même. Elle s'est toujours demandé à quoi ressemblait l'ivresse. Et très vite, elle a heurté la réalité, ou bien c'est la réalité qui l'a heurtée.

Le Dr. Bay m'écoute, impassible. J'aime ne pas être capable de déchiffrer ses réactions, j'ai l'impression que ce que je dis n'est pas complètement fou.

— Elle se marie avec un homme, Charles, qu'elle décrit comme fade, limite mou... comme des céréales au fond du bol du lait. Sans surprise, elle est malheureuse et commence à le tromper. Elle trouve enfin la passion avec d'autres hommes, jusqu'à ce que l'un d'eux, Rodolphe qui ne la traitait même pas bien, la quitte, et qu'elle s'ennuie de nouveau avec un autre, Léon. Pour faire court, elle finit par se suicider à l'arsenic.

Elle ne répond pas. Signe qu'elle m'invite à poursuivre.

— Je suis Emma, Docteur Bay.

Elle ouvre la bouche pour répliquer, mais je la coupe. Alors, elle continue à griffonner sur son grand carnet qui porte mon nom.

— Enfin, je n'ai pas assez de cran pour me suicider, enfin, je crois... mais, ce que je veux dire c'est que, je me sens tellement vide que j'ai envie, moi aussi, de me perdre dans un amour qui me ferait perdre pied. Moi aussi, j'ai envie de m'oublier. Et... du coup, je crois que je me laisse séduire par les... le mauvais garçon.

Dr. Bay continue à gratter sur le papier.

— Le garçon qui va me faire monter dans le wagon de la descente aux enfers.

Elle interrompt sa prise de notes et se remet à me fixer, toujours avec cet air neutre, dénué de tout jugement.

— Qu'en pensez-vous ?

— Que c'est stupide, mais je suis avide de ressentir des choses puissantes. Alors, je donne dans l'auto-destruction.

— Et qui vous dit que ce garçon va forcément apporter du négatif dans votre vie ? Vous pourriez être surprise.

— Croyez-moi, c'est une pourriture, et le Némésis de mon grand frère. Et, maintenant, il s'intéresse à moi, tout à coup.

J'essaie de voir ce qu'elle écrit exactement, mais elle ramène son cahier vers elle.

— Je ne peux pas vous dire ce que vous devez faire, Ellie. Mais, je reste persuadée qu'il faut qu'on parle de l'image que vous avez de vous, de la mort de vos parents et du sentiment d'abandon que vous avez ressenti pour qu'on puisse avancer. Vous avez peut-être du mal à me croire, mais ce que vous me confiez là, a tout avoir.

Ferme et froide, je réplique :

— Je ne suis pas prête à parler de mes parents.

— Très bien, elle cède avec douceur. Alors on peut discuter de la façon dont vous vous percevez, si vous acceptez ?

— Je ne pense pas qu'il y ait de solution à ça.

— Et pourtant, il va falloir qu'on trouve. Parce que tant que vous ne vous aimerez pas, vous allez vous repaître de l'amour des autres, que vous ne contrôlez pas. Et oui, inévitablement, vous risquez de souffrir. Et je ne pense pas que vous avez besoin de ça.

— Vous êtes en train de dire qu'il faut que je me suffise à moi-même ?

Elle rit doucement, le regard atrocement conciliant.

— C'est plutôt ambitieux, comme objectif, ça. On va viser moins haut, si vous voulez bien.

Cela me semble tout de même inaccessible. Est-il possible de guérir d'un trou noir intérieur qui fait de nous une enveloppe vide ?

 Est-il possible de guérir d'un trou noir intérieur qui fait de nous une enveloppe vide ?

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Un peu triste ce chapitre... deux sans Ace, j'espère qu'il vous manque pas trop 🤭😂😂
À demain ❤️

Petit mot quand même pour vous dire que je reprends bientôt le travail. Alors la publication sera pas aussi assidue que maintenant. Mais vous aurez toujours plusieurs chapitres par semaine, juste peut-être pas tous les jours !

🥀

Poison (terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant