PROLOGUE

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Seul un faible rayon rouge opalescent parcourt la noirceur de la pièce.

Assis sur un fauteuil poussiéreux, le regard acerbe, je puise dans mes forces pour ne pas tomber endormi. Je ne crois pas être jamais resté aussi silencieux. Mon mutisme passager doit être dû à un simple automatisme que la fatigue créée en moi depuis maintenant dix bonnes minutes. Il faut dire qu'à cette heure si tardive de la nuit, chacun s'occupe comme il le peut pour combattre l'assoupissement dont il est victime.

Certains fument, d'autres baisent dans un coin.

On me tend un joint, mais une mine écœurée se dessine sur mon visage, si bien que je parais plus désagréable qu'en temps normal. J'adresse un vague signe de la main pour refuser cette offre. Je ne prends pas la peine de répondre et je laisse ma tête dodeliner de gauche à droite.

Si encore on m'avait proposé un verre, j'aurais envisagé de dire oui. Seulement, je dois avouer que les substances psychoactives m'ont toujours fait horreur. Quelque part dans mon cerveau, je sais que je préfère garder mon esprit bien concentré, et cette merde ne m'y aide pas.

Mais la vérité lance un assaut contre mes déboires.

Récemment, j'ai passé le plus clair de mon temps à être distrait. Je n'ai pas pris la moindre drogue et j'ai pourtant l'impression qu'un poids lourd ne cesse de lester mon esprit. Les derniers mois de ma vie, j'ai éprouvé un sentiment que je n'avais jamais connu auparavant, celui d'une routine bien oppressante qui me calcine l'âme. Elle me consume comme un brasier et me fait dépérir à petit feu.

Les heures, les jours, les semaines, se succèdent mais rien ne change.

Avant j'adorais ça la routine.

Maintenant, je la subis.

Je suis tenu en joue par le temps et je ne peux pas riposter.

L'ambiance austère dans laquelle je me complaisais autrefois m'éteint, à tel point que tout devient solennellement silencieux autour de moi.

Je n'entends plus rien.

Ni la musique, ni les rires, ni même les gémissements cumulés d'un trio qui se font de plus en plus distincts au-delà de la guitare électrique. Et Dieu sait qu'un putain de tir de lance-roquettes aurait été plus agréable à écouter que les lamentations excessives d'une de ces gonzesses qui hurle telle une hyène blessée.

Je reste en transe pendant plusieurs longues secondes lorsque je sens mon téléphone portable vibrer dans ma poche. Cette réaction ne me ressemble pas. En temps normal, j'aurais au moins pris un instant pour étudier le nom du contact s'affichant sur mon écran.

Mais pas ce soir.

Les regards embués par la drogue accompagnent mes mouvements pendant que je me redresse sur mon siège. Sans entrain, je suis l'un des premiers à me lever pour quitter ce lieu. Je voulais être discret, mais c'est raté. Une poussée de chaleur m'insupporte et bouffe le peu de béatitude qui coule encore dans mes veines. J'ai besoin de prendre l'air, et vite.

À la lisière de la pièce, je jauge une dernière fois les membres de ce club avant de m'en aller.

Je méprise tous ces gens, autant que j'adhère à leurs idées et à leurs façons de faire. Jamais je n'avais pensé vivre une vie pareille, à leurs côtés. Et pourtant, je suis là, atone, comme si on m'avait anesthésié.

Dehors, il fait nuit noire et mes oreilles bourdonnent à cause de la musique qui retentit encore dans mes tympans. Les acouphènes sont plus désagréables maintenant que j'ai quitté ce cloaque dans lequel je me suis éternisé plus longtemps que nécessaire.

Mes pas claquent lourdement sur le bitume de la ruelle que je longe pendant que l'ombre de mon corps s'étend sous la lumière jaunâtre d'un lampadaire.

L'odeur du sang humain présent sur mes mains ne me quitte pas. J'en prends une profonde inspiration, jusqu'à saturation, puis bloque un filet d'oxygène dans ma trachée, laissant ce parfum âcre s'enliser dans mes sinus. Sourcils froncés, je suffoque à chaque goulée que j'inhale. La brise fraîche de cette nuit ne dilue pas cette puanteur de mort.

Si quelqu'un avait été là, à m'observer dans la pénombre, cette personne aurait pu lire quelque chose de fâcheux sur mon visage, quelque chose qui ressemble drôlement à de la contrariété.

Mais je suis seul et c'est sûrement mieux ainsi.

Mon téléphone portable frémit une seconde fois et cette vibration dans ma poche finit par alpaguer ma curiosité. J'ai déjà passé beaucoup trop de temps à ignorer la personne qui cherche à me joindre, je le sais.

Mes faiblesses me trahissent et me poussent à jeter un coup d'œil à cette notification. Mon pouce touche la fonctionnalité qui m'intéresse et la photographie d'une femme s'affiche directement sur mon écran.

Ces cheveux bouclés en pagaille, noirs comme du charbon, contrastent avec la pâleur de sa peau, là où ses veines bleuâtres dardent cette douce nuance. Quant au rouge qui teint ses lèvres, il annonce la couleur pour la suite des évènements.

Il l'a retrouvée.

Mes névroses obsessionnelles me dévorent l'âme. Je muselle ma voix, préférant rester silencieux. Pourtant, sans un quelconque effort, les battements de mon cœur font un boucan monstre. Au fond de moi, je sais que le rêveur impénitent que je suis reprend goût à la vie.

Il vient d'être secoué, comme le passé qui dormait dans l'obscurité de cette nuit d'été.

Cette nouvelle âme frôle l'Underground, et je savoure déjà la promiscuité que Lola Rogers s'apprête à nous donner.

UNDERDOGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant