Tu fais chier, Stone

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Quatre-vingt-six jours avant l'été.

Si ce n'est pas la pire saison qui existe sur Terre, alors je suis la petite fille cachée du roi d'Angleterre. Non vraiment, je déteste l'été. Chaque année, son approche inévitable me fait angoisser comme celle de l'Armageddon. Lorsque j'étais petite, l'été était cette période de l'année où je ne pouvais pas trouver refuge à l'école. Je devais passer mes journées à la maison, avec mes adorables parents. Autrement dit, c'était deux mois où je me sentais aussi riquiqui qu'un moustique. Je n'étais pas aimée, je n'étais pas utile, je n'étais pas à ma place.

Comme je l'ai déjà dit, l'école était mon échappatoire. Du moins ça, c'était avant. Avant que mon ex, dans une crise de colère épique, ne détruise mes cours et ma motivation. Maintenant, je redoute mon retour à la fac, presque autant que je redoute l'été.

— Je vais te kidnapper, m'informe Maxine.

Je souris, seulement le cœur n'y est pas. J'ai presque envie qu'elle mette sa menace à exécution; ça m'enlèverait le poids terrible que je ressens à l'idée de retourner à la fac.

— En vrai de vrai, tenté-je en levant le nez vers les étoiles, je pourrais rester ici.

Elle recrache la fumée de sa cigarette et contemple le ciel sombre avec moi. Nous sommes assises chacune sur une chaise au bord de la fenêtre de sa cuisine. Rutland, la petite ville où nous avons grandi, est doucement plongée dans la pénombre avec le soleil couchant. Je balaye le peu que j'en vois d'un regard morne : les immeubles en briques rouges qui s'apparentent à de vieilles constructions Lego, les contours du gazebo au milieu du parc, et enfin, à droite, au tournant de la rue, l'ancien Five Guys adorné de son éternel panneau « à vendre ou à louer ». Selon moi, c'est une ville ennuyante à mourir. Je ne souhaite pas y rester. Tout comme je ne souhaite pas partir.

Je suis dans une impasse, coincée entre un enfer et un autre.

— Si j'étais une mauvaise amie, je te dirais de rester. Mais comme je suis géniale, je vais te forcer à retourner à la fac et à décrocher ce putain de diplôme.

— Il y a deux secondes tu voulais me kidnapper.

— Je veux pas que tu partes. Mais je vais te laisser partir parce que c'est la meilleure chose à faire pour toi.

— Je n'y comprends rien.

— C'est parce que tu m'écoutes pas. Hé, Aurore !

Voyant que je ne réagis pas, elle se penche sur le côté pour attraper l'éponge sur le rebord de son évier. Je la reçois sur la tempe, molle et humide.

— Dégueu !

— Rentre chez toi ! T'as cours demain !

— Je n'en ai pas envie !

— C'est pas possible que la fac te mette dans cet état. Rappelle-toi au CP, tu t'es enfermée dans la salle de classe parce que tu voulais pas partir en vacances. Tu adores l'école.

— J'adorais l'école, au passé. Maintenant je ne sais plus quoi faire de ma vie, et ça me déprime.

— Finis au moins ton année, on réfléchira pendant l'été.

— Je déteste l'été.

— Tu détestes tout. T'es sûre que c'est pas Zach le problème ?

Je me redresse en entendant le prénom de mon coloc.

— Pourquoi tu me parles de lui ?

— Oh, je ne sais pas, ironise-t-elle d'une voix faussement douce. Peut-être parce que ça fait un mois que vous avez aménagé ensemble et que vous ne pouvez toujours pas vous voir en peinture !

The hate theory [Tome 2/2]Donde viven las historias. Descúbrelo ahora