Lumières & Origines : I - L'autre côté du Temps

Chapitre 1 - Un monde inefficace (Sarasvatî) [Partie 2/2]

— De la Nanthilia ? Sérieusement, y'a des types qui se mettent à fumer aussi tôt dans la journée ?

La fragrance était bien trop proche pour que je résiste à savoir qui, dans ce quartier que je connaissais sur le bout des doigts, s'amusait à rouler des joints de Nanthilia. Les jeunes du coin — et d'ailleurs — en raffolaient pour les effets psychiques lénifiants qu'elle procurait. Je contournai alors le bâtiment en passant par la droite, longeai subrepticement le mur et me penchai pour mieux observer. Des ricanements me parvinrent aux oreilles, dont un que je reconnus presque aussi bien que cette senteur. J'aperçus quatre adolescents assis sur un banc, à l'arrière de l'immeuble et visiblement en plein fou rire. Je m'approchai. Seuls quelques centimètres me séparaient d'eux.

L'un des joyeux gaillards se retourna, juste avant de tomber nez à nez avec moi. Poussant un hoquet de surprise, il sursauta et trébucha sur le champ d'herbes grasses. J'avais encore les bras croisés et cette expression imperturbable qui me décrivait si bien.

— Oh bordel ! s'écria le jeune homme qui venait de chanceler. Pourquoi t'as pas dit que t'étais là Sara ?

— Et pourquoi j'aurais fait ça ?

Mon regard se posa sur un autre garçon, plus petit que ses amis. Une chevelure noire en bataille couronnait son visage à l'épaisse mâchoire, accompagné de grands yeux sombres. De la cendre s'échappa sur les plis de sa chemise en flanelle écarlate à carreaux blancs. Ses sclères étaient rouges, mais pas de fatigue. Lorsque j'aperçus le joint entre ses doigts, je haussai les sourcils tout en le fixant. Le jeune homme ne cilla pas pour autant.

— Bordel, mais Sara ! T'as envie de devenir flic pour les Grands Conseils maintenant ou c'est comment ? Tu peux ranger tes yeux de sorcière dans ton cul !

— Tu te fous de moi Kieran ? rétorquai-je.

J'avançai vers lui pour arracher ce joint de ses mains, mais en réponse, il recula. Je le saisis alors par le bras et finis par jeter cette horreur nauséabonde au sol. Je l'écrasai ensuite énergiquement du bout de mon pied en toisant Kieran.

— On avait passé un accord tous les deux. Tu devais faire des efforts ! Je t'avais averti des conséquences de ce truc, et je te retrouve trois jours plus tard à fumer avec trois cons du quartier ? T'es sérieux là ?

— Oh eh, c'est bon, répondit l'un des types. Sentant la colère monter, je me retournai vers eux comme pour les défendre d'oser parler à nouveau. Les garçons préférèrent en rester là et s'éloigner, assommés par les effets de la Nanthilia. La fatigue et la déception commencèrent à m'assaillir sérieusement.

— T'es vraiment chiante quand tu t'y mets. Je t'ai déjà dit que ça te regarde pas ! Pourquoi tu veux pas m'lâcher un peu ? T'as pas des cours à réviser ou un autre truc relou à faire dans ton coin avec tes potes intellos ?

Pour la énième fois de la journée, je soupirai.

— On parle de ton avenir Kieran, c'est pas pour t'embêter que je fais ça. Je suis ta sœur, et je dois t'avertir des effets de la Nanthilia ! Tu te rends compte que les combattants et explorateurs s'en servent pour provoquer des perturbations psychiques sur leurs adversaires ? Tu trouves ça normal de t'exploser le crâne avec ?

— Oui ! Parce que c'est mon crâne et pas le tien ! J'ai pas envie de faire des méga études comme toi !

Je ne savais plus quoi dire. Kieran m'assénait de toutes ses phrases favorites pour exprimer son désir d'indépendance. Ses tirades continuèrent durant de longues minutes. Dans le hall, dans l'ascenseur, et jusqu'à ce que l'on atteigne l'appartement. Il claqua la porte d'entrée de toutes ses forces.