Avril, trente-trois mois plutôt

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Ça faisait deux semaines que je me traînais les pieds. J'avais de la misère à me lever, je pouvais tout juste suivre mes cours sans m'endormir sur mon pupitre, je rentrais à la maison sans faire de détour chez mes amis, je mangeais à peine et je me couchais de plus en plus tôt. Ma mère et mes amis ne me reconnaissaient plus. Quant à mon père, il travaillait trop, comme d'habitude, et ne voyait rien de tout ça. Ma mère m'a amené chez le médecin, qui a présumé que j'avais beaucoup de fatigue accumulée. Il m'a conseillé d'abandonner, pour un certain temps, les matchs de soccer et toutes les activités sportives pendant l'heure du diner. J'ai fait oui de la tête en ronchonnant, convaincu que ce n'était qu'une mauvaise passe. Une mauvaise passe qui a fini par s'éterniser.


Dans les jours suivantes, les ecchymoses ont fait leur apparition. Elles se multipliaient à une vitesse effrayante. Je n'avais même pas besoin de me cogner pour que de nouvelles marques apparaissent ! Ma mère a commencé à paniquer. La fièvre s'est ensuite invité et on s'est rendues à l'urgence.


Assis dans la salle d'attente, j'avais l'impression de vivre dans un univers parallèle. Les bruits étaient assourdis, comme si j'avais les oreilles bouchées, ma tête tournait, j'avais mal partout. Je ne voulais pas me laisser gagner par la peur, mais c'était plus fort que moi. Et si j'avais une maladie grave ? Un virus mortel ?


La voix de ma mère s'est frayé un chemin jusqu'à ma conscience, me demandant de la suivre, pendant qu'une main se refermait sur mon avant-bras pour m'aider à me relever. J'ai essayé d'ouvrir les yeux, histoire de voir où j'allais, mais la lumière des néons était trop agressante. Je les ai aussitôt refermés. À peine debout, j'ai senti mes genoux me lacher et je serais tombé si on ne m'avait pas retenue. J'ai gémi.


- Il nous faut une chaise roulante.


Les pas de l'infirmière se sont éloignés pendant que ma mère me poussait doucement pour que je m'appuie au mur. Deux minutes plus tard, j'étais installé dans mon carosse, ou j'ai bientôt somnolé, bercé par la voix lointaine de ma ma mère qui expliquait mes symptômes. Une voix qui frisait l'hystérie. Je me suis demandé une fois de plus si j'allais mourir.


J'ai été hospitalisé à l'étage de la pédiatrie jusqu'à ce que le diagnostic tombe, tar le lendemain. Leucémie lymphoblastique aiguë. Un long mot qui sonnait comme un chinois à mes oreilles, mais qui signifie cancer du sang, je l'ai appris bien vite. J'avais le cancer !? Le monde s'est arrêté de tourner. Plus rien n'avait d'importance que cette bombe que la docteure, l'air désolé, venait de lâcher. Ma mère s'est mise à répéter que ce n'était pas possible, qu'il devait y avoir une erreur, que son petit Zayn ne pouvait pas avoir un cancer. Mon père, lui restait muet. Il avait l'air tellement perdu. Je me suis tourné vers la fenêtre. Je ne voulais plus voir personne. Je ne voulais plus rien entendre. J'aurais voulu être ailleurs. Mais je n'ai pas pu m'empêcher d'écouter.


La docteure Gravel a donné la description des traitements que j'allais recevoir, des effets secondaires que j'allais endurer, les maux de coeur, la douleur, la fatigue. Sans compter les piqûres... Elle a parlé de médicaments à prendre à la maison, des nombreux jours d'école que j'allais manquer à cause des rendez-vous, de ce que je ne pourrais plus faire. À un moment donné, je n'en pouvais plus. J'avais envie de pleurer, de crier, de me révolter, mais rien ne sortait.


- Les traitements vont durer combien de temps? a demandé ma mère.


-  Le protocole s'échelonne sur trente mois environ.


- TRENTE MOIS!!!!


J'ai hurlé quand je l'ai répété. Je n'en revenais pas. Ça voulais dire que le jour où on aurait fini de me soigner, j'allais avoir 18 ans. 18 ans ! C'était un cauchemar et j'allais me réveiller. Il fallait que je me réveille. Je ne voulais pas passer tout mon secondaire à vomir mes tripes !


Ma mère ne m'a pas laissé ajouter un mot. Elle avait des milliers de questions à poser au médecin et elle était bien décidée à avoir toutes les réponses avant que je commence ma chimio.  Une heure plus tard, la docteure Gravel est finalement partie. Mes parents ont fait de même en soirée, me laissant enfin seul pour la nuit.


J'ai mis des heures à m'endormir. Il y avait trop d'image dans ma tête, plein de scénarios catastrophiques. Je me voyais déjà pas de cheveux, maigre, la peau blanche, obligé de tout le temps me déplacer en chaise roulante. Bref, j'avais terriblement peur de l'avenir.

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Tout a vraiment commencé quelques jours après le diagnostic, avec ce que la docteure Gravel a appelé « l'induction». Pendant un mois, plusieurs jours par semaine, j'ai reçu de fortes doses de chimiothérapie par intraveineuse, pour tuer toutes les cellules cancéreuses qui circulaient dans mon sang. Je suis resté hospitalisé en isolement pendant les quinze premiers jours de ce traitement, pour me protéger des virus extérieurs , parce que mon système immunitaire était trop faible pour se défendre. Au cours de cette période, j'ai aussi reçu cinq transfusions sanguines pour aider mon organisme à se remettre. Les deux autres semaines de l'induction, de même que les six mois qui ont suivi, j'ai pu rentrer à la maison après chaque chimio, mais je devais revenir à l'hôpital si je faisais de la fièvre, pour qu'on me fasse une prise de sang. Si mes globules blancs étaient en nombre insuffisant, on m'hospitalisait. Les médecins appellent ça de la neutropénie fébrile et ça m'est arrivé quatre fois.

Évidemment, j'ai vomi souvent pendant ces mois-là, à cause de la chimio, et j'ai eu mal partout. J'ai aussi beaucoup dormi pour essayer de récupérer. J'étais tout le temps fatigué et je n'étais pas capable de faire grand-chose. En dehors de ma maladie, je me suis donc concentré uniquement sur l'école. J'ai eu droit à un professeur privé pour m'aider et, en travaillant fort, j'ai réussi ma deuxième secondaire. J'ai commencé l'année suivante en alternant l'école régulière et l'enseignement à domicile, pour finalement fréquenter la polyvalente à temps plein à partir de la mi-novembre. J'avais enfin atteint la troisième partie du protocole de traitement, appelée « l'entretien ». Il n'y avait plus de traces visibles de cancer dans mon sang, mais il fallait que je continue la chimio pendant encore vingt-trois mois « au cas où ». C'était le plus sûr pour éviter une récidive.

Puisque je ne recevais plus de grosses doses de chimio, mes cheveux avaient recommencé à pousser. C'était de la loin la meilleure nouvelle de toutes ! J'avais trouvé ça tellement dur de les voir tomber, surtout que je les avais quand même un peu long. Et puis, j'avais l'air pas mal moins malade avec des cheveux, même s'ils n'étaient pas tout à fait comme avant. Mais je ne m'en plaignais pas, l'important, c'était que j'en aie à nouveau.

Bref, novembre était synonyme d'un retour à une vie presque normale pour moi. Je me sentais en meilleure forme, les effets secondaires étaient devenus très rares, j'allais à l'école et je sortais de nouveau avec mes amis. Quelqu'un qui ne me connaissait pas, et qui m'aurait vue pour la première fois, n'aurait probablement pu dire par quoi j'étais passé depuis sept mois... Par contre, je dois avouer que, dans ma tête, ce n'était pas aussi simple. Je n'avais plus « l'air » malade, mais en même temps, je savais que le cancer pouvait revenir n'importe quand. Même si les leucémies comme la mienne avaient plus 88 % de chances de guérison, il y avait 12 % de possibilités que les traitements ne marchent pas et que je doive affronter une rechute.

Et c'est de ça que j'avais le plus peur maintenant.

Mais j'essayais d'y penser le moins possible.



1358 mots.

J'espère que vous avez aimer !

By RealBeaStyles.

Tu vivras pour moi --- ZiallWhere stories live. Discover now