Chapitre 5 - La Plaine de Glace

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Tapu était rentré tard cette nuit-là. Il avait voulu se montrer discret, mais la piqûre gelée de l'air avait signalé à sa sœur son arrivée. Elle ne lui en avait pas tenu rigueur, d'autant plus qu'il avait remis une bûche sur le feu pour éviter que la chaleur ne retombe. Sans ce soubresaut de réveil, Suki aurait pu croire qu'il avait dormi dehors. En effet, quand elle s'était levée, il était déjà reparti. Elle ignorait l'objet de ses manigances. Nazu, elle, ne semblait pas se préoccuper de son absence. Elle l'expliquait par de possibles intrigues amoureuses. Suki se demandait s'il les fuyait pour ne pas parler à nouveau de deuil avec eux.


Une fois préparées, toutes deux sortirent pour rendre visite à Wuru. Nazu se tenait à sa vieille canne sculptée dans l'orme. Au détour d'une maison éclairée, elles croisèrent la meilleure amie de Suki :


— Coucou Nora !


Celle-ci lui retourna son salut et l'embrassa chaleureusement, un peu plus insistante que d'habitude, puis affronta le regard vert de Suki :


— Vous allez à la veillée ?


À ses yeux humides, Suki saisit qu'elle en revenait à peine, ce qui expliquait son émotion. Elle hocha la tête en signe d'approbation.


— Je ne me ferai jamais à la mort... À chaque fois, ça me secoue, commenta Nora.


— Je te comprends. Mais en te formant comme guérisseuse...


— J'y serai confronté d'autant plus... Tu as raison ! Je sais bien que je dois m'y faire... Je suis trop sensible... Le point positif, c'est que ça fait relativiser nos petits problèmes... Je vais savourer les moments qui s'offrent à moi différemment...


Nora ne rencontrait aucune difficulté à exprimer ses émotions, là où Suki demeurait secrète. De son côté, la mort avait tellement étendu ses mains de glace sur sa famille qu'elle avait l'impression de bien la connaître. C'était comme si elle ne pouvait plus la surprendre. Son amie s'était montrée très présente lors du décès de sa mère, et elle ne l'en remercierait jamais assez. Nora vivait avec ses grands-parents et ses parents, à côté de leur étable. Parfois, Suki se demandait par quel miracle c'était possible. Si peu de familles étaient restées intactes. Elle l'enviait par moments. Elle aurait aimé retrouver un peu de naïveté. Sa fraîcheur lui apportait toujours du réconfort.


— Tu n'aurais pas vu Tapu hier soir par hasard ? Il n'est pas rentré tout de suite... Et je pensais que peut-être...


Nora rougit, lui jeta un regard incrédule et fronça les sourcils, choquée.


— Suki, quand même, je ne suis pas ce genre de fille ! ...


— Je n'ai rien suggéré du tout... C'est toi qui tires tes conclusions...


Nora lui fit une grimace pour qu'elle s'arrête, puis reprit :


— Pardon... Je suis un peu à fleur de peau... Non, je ne l'ai pas vu. Quand j'ai appris la nouvelle, j'ai préféré rentrer chez moi. Pourquoi tu me demandes ça ? Il a des problèmes ?

La Contrée des ConfinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant