La Contrée des Confins

Chapitre 35 - Les Corolles Englouties

Plus ils s'enfonçaient dans les tunnels, plus les sons provenant de l'opposé résonnaient. Des épées s'entrechoquaient. Conduits par Calliste, Valdo et Suki parvinrent à une salle faiblement éclairée, plutôt chaleureuse malgré les relents âcres de l'humidité sous-marine. Plusieurs couples de Fendeurs d'Écume s'affrontaient avec rage. Suki devina qu'ils étaient en session d'entrainement.

— Hé, Suki ! Tu as réussi à nous rejoindre !

La jeune fille reconnut Nätt, les vêtements auréolés de sueur. Ses cheveux bouclés collaient à son front luisant. Il venait de quitter le combat.

Suki se sentit presque rassurée de le voir. Elle pensa que c'était bête puisqu'elle le connaissait à peine. Mais il lui renvoyait la douce image de sa terre natale, là où ils s'étaient rencontrés. Il avait dû scruter l'océan à la recherche de sa barque pendant des heures infinies.

— Je constate que tu as déjà fait la connaissance de maman.

Mère et fils échangèrent un regard de connivence. Les traits de Nätt se durcirent ensuite en se posant sur l'animal et le Pisteur.

— Tu es venue accompagnée ?

Sa question, presque sarcastique, passait plus pour un reproche que pour une plate interrogation. Suki le trouvait culotté alors qu'il n'avait même pas eu la décence de la protéger pour son périple jusqu'ici, lui. La Fendeuse ne se démonta pas et feignit une complicité avec Valdo. Elle lui offrit un sourire pudique, mais il ne desserra pas les dents.

— C'est Valdo. Il m'a secourue, à deux reprises. Il est de notre côté.

Elle formula ses affirmations d'un ton assuré pour qu'on ne l'embête pas, même si elle taisait une partie de la vérité. Il ne l'avait pas vraiment « accompagnée » : les propres imprudences qu'elle avait commises l'avaient forcé à fuir son refuge. Valdo ne dit rien et resta en retrait avec Fournaise, les bras croisés, comme désintéressé.

Autour d'eux, le tumulte se prolongeait. Suki changea de sujet pour éviter une remarque plus explicite. Nätt ne décollait pas le regard des ailes du Pisteur. Par conséquent, elle prit son élan pour énoncer son souhait.

— J'aimerais rencontrer Kito.

Son demi-frère gloussa et leva les yeux au ciel.

— Réunion de famille, super ! Je te préviens, tu vas être déçue...

Calliste, sèche, le reprit aussitôt. Elle avait devancé son commentaire désobligeant.

— Arrête un peu de t'acharner sur lui.

Des éclairs fendirent les pupilles de Nätt. La tension était montée d'un cran sans crier gare.

Suki caressait la pointe de ses cheveux et examina le sol. La relation paraissait conflictuelle entre lui et son père.

— Avec un peu de chance, « Sa Majesté » t'accordera plus de cinq minutes, ajouta-t-il, faisant mine de parler bas pour éviter que Calliste ne l'entende.

Cette dernière lui donna une tape à l'arrière de la tête. Il ricana de plus belle avec effronterie.

Tous ensemble, ils finirent par traverser le champ de bataille. Valdo se tenait à l'écart avec son planeur. Toute l'attention des combattants convergeait vers lui et des murmures méprisants naissaient çà et là.

Suki ne s'était pas attendu à un accueil si anonyme, presque plus glacial que le blizzard qu'elle avait affronté au milieu des Landes Solitaires. Les Charmeurs de Glace n'auraient jamais ignoré de la sorte l'un des leurs. Surtout s'il s'agissait de la fille de leur chef.