À la maison

45 5 7
                                    



— SASKA

Je n'ai même pas besoin d'ouvrir les yeux pour comprendre ma situation.

Hôpital. Perfusions. Toutes portes verrouillées pour éviter que je m'enfuie.

Ce n'est pas la première fois.

Ca m'arrivait presque tout le temps, avant.

Je devrais être habituée, ou quelque chose comme ça. Ca devrait être plus simple. Moins douloureux.
Ca ne l'est pas.

Il y a des choses faciles à gérer, comme la fatigue, l'odeur de désinfectant qui me brule les narines ou encore la sensation des draps froids autour de moi. C'est physique, superficiel. Il me suffit de me convaincre que ce n'est rien, que ça va passer, que c'est temporaire. De penser à autre chose.

Et puis il y a des choses plus complexes, que je ne peux pas tenir loin de mon esprit. Ces choses qui me hantent depuis que j'ai repris conscience.  Peu importe combien je lutte pour garder tout cela enterré, pour ne pas y penser, c'est peine perdue. Je ne peux plus me voiler la face : tout m'a explosé au visage.

Maintenant, il ne me reste qu'à tirer mon parti des décombres.

En fait, ce n'était pas censé aller si loin. Je n'étais pas censée tomber dans ce genre de spirale. Je n'étais pas censée perdre le contrôle de la situation.
Mais c'est arrivé. J'ai été faible.

Je le suis toujours.

Cependant, je ne suis pas idiote.

Je sais que William et mon père sont là, dans un coin de la pièce. Je sais également que le moniteur a indiqué que j'étais réveillée depuis un bon bout de temps. Ils attendent des réponses, parce que je me suis tue trop longtemps.

Quatre ans, c'est long.

J'ai caché trop de choses, trop menti, et maintenant c'est trop tard. J'ai atteint mon point de rupture. Je peux sentir leur inquiétude et leurs questions. Leur impatience.

Ils ne me brusqueront pas. Ils attendront que je me lève, que je les confronte comme une putain de Harris. Parce que c'est ce que j'ai toujours fait.
Comment pourrais-je ne serait-ce que leur expliquer, quand ils ignorent tout de la personne que je suis devenue ? Comment pourraient-ils comprendre ?
Je m'accorde un mince sursis et scelle mes paupières les unes contre les autres. Quelques minutes de plus avant d'ouvrir les yeux. Avant de remettre le masque.

Mon père et Will parlent à voix basse, mais j'ai trop mal pour distinguer le moindre mot. Un énorme pouls bat contre les tempes, encore et encore. Bam. Bam. Bam. J'ai l'impression que je vais exploser. J'essaie de faire le vide dans mon esprit, de relativiser.

Ce n'était rien. Ce n'était rien. Ce n'était rien.

Ce n'était rien, bordel. Je vais m'en sortir.
Mais plus je le répète, plus ça sonne faux, plus les larmes montent... Je me hais d'être si faible, mais je n'arrive pas à les réfréner. En fait, je me rends compte que j'ai plutôt envie de les laisser couler. Je veux sangloter et hurler jusqu'à ce que je ne me sente plus comme ça. Je veux laisser sortir ce monstre qui me ronge de l'intérieur depuis si longtemps.

Mais je ne peux pas.

Alors je me contente de les laisser couler, en silence. Mon père essuie mes larmes avec son pouce, son geste d'une tendresse qui me heurte jusqu'à l'âme, et j'aimerais pouvoir lui dire à quel point je l'aime.
Mais je ne peux pas.

Tant, tant de restrictions...

Au début, il ne dit rien. Il se contente de prendre ma douleur, de rester là, sa présence rassurante et forte. Je n'ai pas besoin de le voir ou même de le toucher pour me sentir en sécurité.

RUSSIAN ROULETTEWhere stories live. Discover now