Partie 4 : Les cendres dans la mer

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Émile m'avait forcée à me retourner. J'étais face à lui, complètement déstabilisée. Je le revoyais nu sur ce matelas, au dessus d'une autre fille que moi. Ça me donnait la nausée.

– Dis-moi ce que je peux faire pour que tu partes.

– Que tu te reprennes en main.

– Mon meilleur ami vient de crever et je devrais continuer de vivre comme si de rien n'était ?

– Je pense pas qu'il voudrait que tu te mettes dans cet état-là.

– Tu crois savoir pour lui ?

– Va au cimetière, dis-lui au revoir et après tu te sentirais déjà plus léger.

– Je mettrai pas un pied là-bas.

Il avait repris sa place dans le lit, sous la couette, le dos tourné. J'avais décidé de rester malgré ce qu'il avait fait. J'avais pris place sur le sofa dans le coin de la pièce, j'avais une vue sur lui. Il ne pouvait plus m'ignorer puisque j'étais dans son champ de vision. J'avais enlevé mes baskets et mon pull que j'avais posé sur mon ventre. Émile me regardait, la tête sur l'oreiller, sans rien dire.

– Ma mère voulait pas être enterrée. Elle a été incinérée. Y'a quand même eu une sorte de commémoration avant que ce soit fait. J'y suis pas allée parce que je lui en voulais de s'être suicidée. Ils ont jeté ses cendres dans la mer, j'aurais pu y aller, c'était la dernière occasion de la voir, mais j'ai pas voulu y aller, j'étais trop en colère... Mais je m'en suis voulue, j'ai pas arrêté de me dire que si elle avait été enterrée, j'aurais pu toujours allée la voir après. Mais dans son cas, c'était pas possible... Des fois j'y repense et ça me bouffe. Je me demande comment j'ai pu être aussi conne...

Émile s'était retourné.

– Si j'y vais, ça voudra dire que j'accepte qu'il soit mort.

– Si t'y vas pas, ça le fera pas revenir pour autant... Je suis persuadée que ceux qui sont parties, peuvent nous voir de là-haut. Martin doit sûrement se demander pourquoi t'es pas venu le voir.

La pièce était redevenue silencieuse, jusqu'à ce que j'entende un reniflement. Je n'avais jamais vu Émile pleurer. Il était toujours joyeux, toujours souriant.

Je m'étais assise en tailleur devant son matelas. J'étais proche de lui. J'avais besoin de le réconforter.

– Je peux y aller avec toi, si tu veux.

– Laisse-moi.

J'essayais de me dire au plus profond de moi que je comprenais pourquoi il agissait comme ça. Je luttais. Mes nerfs allaient exploser. J'allais le laisser tranquille. C'était sûrement la meilleure chose à faire. J'avais fini par comprendre qu'il ne voulait pas de moi, que ni mes actions ni mes mots n'auraient d'effet sur lui. J'avais pris conscience que mon rôle s'arrêtait ici.

J'étais quelqu'un de très nerveux avant de le rencontrer. J'avais tendance à être méchante, à répondre aux gens et à mal me comporter. Perdre ma mère à 13 ans avait fait de moi un monstre. Pourtant, les gens autour de moi restaient. Je les repoussais sans cesse, je ne voulais pas d'eux, du moins c'est que je disais.

À l'époque, mon père travaillait au bowling, alors que le père d'Émile était un fidèle client. Il était très bon joueur. Ils avaient naturellement sympathisé. Son père avait fini par inviter le mien à faire une partie avec lui après son service. Quand ma mère est morte, son père a tenu à être présent pour nous. C'est comme ça que j'ai rencontré Émile. Ses parents venaient souvent chez nous pour soutenir mon père et l'aider dans la maison. Émile était de mon âge, il était forcé d'accompagner ses parents. Alors on se voyait souvent. Émile avait la joie de vivre, contrairement à moi. Il m'énervait, sa bonne humeur, son rire, sa sympathie, sa prestance, tout m'irritait chez lui. Mais j'étais forcée de passer du temps avec lui. Quand mon père travaillait, j'étais envoyée chez lui. 

Émile et moi, on ne se supportait pas, c'était d'abord une corvée de passer du temps ensemble dans la même maison. Je refusais les attentions de sa mère. Elle était si gentille et moi, j'étais si désagréable. Puis à 14 ans, Émile avait une petite amie qui avait un prénom de fleur, Marguerite je crois. Elle était toujours là, alors je passais mon temps avec sa mère. J'avais laissé Carine me bercer. Elle avait su comment m'apaiser. C'est elle qui m'avait appris la vie. Elle était devenue ma deuxième mère et j'étais la fille qu'elle n'avait pas eue.


La Chute d'ÉmileTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang