Partie 6 : Le rêve de la fenêtre

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Une semaine après avoir quitté ma ville natale pour la deuxième fois, j'avais fait un cauchemar. Émile était au bord de sa fenêtre, assis sur le rebord, mais le corps tourné vers l'extérieur. Je le regardais sans rien faire. Il s'est tourné vers moi avec un regard vide, puis son corps a disparu de la fenêtre. Émile venait de sauter. J'ai marché jusqu'à cette fameuse fenêtre et je me suis penchée pour regarder dehors. Le corps d'Émile était sans vie et gisait dans une marre de sang. Ses yeux étaient encore ouverts, mais je savais qu'il était mort. Il venait de se suicider sous mes yeux. Je n'avais rien fait pour l'aider. Je l'avais simplement regardé se tuer, sans agir.

J'avais un examen de mi-semestre ce jour-là. J'avais marché dans la rue en repensant sans cesse à ce cauchemar que j'avais fait juste avant de me réveiller. J'arrêtais pas de me demander si c'était un signe, si j'avais rêvé de ça pour une raison. Mais je devais me rendre à l'évidence, Émile n'avait pas besoin de moi dans tous les cas.

J'avais attendu le métro, les portes s'étaient ouvertes, puis refermées. Je n'avais pas pris cette rame, ni même la prochaine. À la place, j'avais pris le premier train pour rentrer chez moi. Le choix que je venais de faire aller me coûter le droit d'aller aux rattrapages en fin d'année. Je mettais mes études en péril pour un garçon qui me rejetait et qui avait couché avec son ex-copine devant moi.

J'avais poussé la porte sous le choc, Émile n'était pas là. J'avais alors descendu les escaliers en courant, pour prévenir ses parents. Ils ne savaient pas qu'il avait quitté sa chambre. Mon ventre était noué. J'étais persuadée qu'il était mort. J'avais ensuite repris le chemin jusque chez mon père, il n'y avait rien d'autre à faire. Une fois arrivée devant la maison, mon corps s'était stoppé dans son élan. Émile était là, il venait de franchir le portail. En me voyant, il s'était arrêté lui-aussi. Puis Émile avait finalement fait quelques pas vers moi.

Sans comprendre pourquoi, on s'était machinalement pris dans les bras, là devant la vieille maison de mon enfance, où l'on s'était rencontrés pour la première fois. J'avais téléphoné à sa mère pour lui dire qu'il était chez moi. Elle était rassurée de l'apprendre. J'avais fait des crêpes pour lui, il ne voulait pas manger, mais je lui avais demandé de le faire pour moi, alors il avait pris une première bouchée.

– Je pensais pas ce que j'ai dit.

– Je sais.

Je le regardais manger, étrangement, ça m'apaisait. Je me disais que j'avais fait ce rêve pour une bonne raison, j'évitais de me prendre la tête avec le fait que j'y avais vu un suicide. Émile était face à moi, en chair et en os, c'est tout ce qui comptait. Je me fichais du reste.

– Pourquoi t'es venu ici ?

– Je pensais que t'étais encore chez ton père, mais j'ai vu que personne était là.

– Alors, c'est bon ? T'es enfin sorti de ta chambre ?

Émile avait baissé les yeux sur son assiette. Ma question avait eu un effet sur lui.

– Non... Je vais y retourner après... J'étais pas sorti depuis... je sais pas en fait, je compte plus les jours.

– Tu veux qu'on aille au cimetière ?

– Non, je suis pas encore prêt.

J'avais fini par m'asseoir sur la chaise face à lui. Satané ascenseur émotionnel. Je pensais qu'il était guéri, que je n'avais plus à m'inquiéter.

– Maintenant, j'ai deux raisons d'aller mal...

Mes sourcils étaient froncés, je m'attendais au pire. Quelle pouvait être cette deuxième raison ?

– Pourquoi ?

– Parce qu'en voulant faire du mal à quelqu'un, je me suis mal à moi-même. J'ai trahi une promesse que je m'étais fait y'a hyper longtemps.

Sa tête s'était redressée vers moi.

– Y'a quelque chose que je voudrais que tu fasses pour moi. 

Il ne m'avait pas dit ce qu'il voulait. À la place, il m'avait demandé de le suivre sans poser de question, alors c'est que j'avais fait. On avait marché jusqu'au magasin le plus proche, j'étais perdue, je n'avais aucune idée de ce qu'il attendait de moi. Je n'avais pas d'argent sur moi, mais lui en avait. Devant les portes automatiques, j'étais loin d'imaginer ce qu'il allait acheter.

Deux bouteilles d'alcool, une pour lui, une pour moi. Ma mère était alcoolique et Carine avait toujours refusé qu'Émile boive de l'alcool. J'évitais d'en boire, parce que je savais pertinemment l'effet que ça avait sur moi. Un verre de mojito pour les grandes occasions, c'était ma limite. Mais s'il voulait consommer de l'alcool, alors je ne pouvais pas l'empêcher, pas à ce moment-là de sa vie.

Sauf qu'Émile ne s'était pas arrêté là. Il voulait qu'on fasse un dernier « petit détour ». Je savais où allait me mener ce petit détour : tout droit en enfer.

La Chute d'ÉmileWhere stories live. Discover now