8. Sombre quotidien

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HAZEL

Mes chaussures raclent contre les galets tandis que mes pas prennent difficilement le chemin du retour.

Le vent s'est levé. Froid, mordant, impitoyable, il s'infiltre dans le col de ma veste et sous mes vêtements, giflant ma peau de ses caresses glaciales. Le soleil s'est couché depuis un bon moment maintenant, et on n'y voit pas à vingt mètres. Heureusement que je connais cette route par cœur, parce que vu le bordel qu'est mon cerveau aujourd'hui, j'aurais tout aussi bien pu me jeter à la mer.

Mon corps frissonne lorsqu'une énième bourrasque soulève les pans de ma veste et vient lacérer mes côtes. Las, je me contente de serrer les bras autour de mon torse et de baisser la tête pour rentrer le cou. J'ai l'habitude de ces nuits de novembre, si rudes qu'elles effraierait toute personne n'étant pas habituée à la violence des éléments. Je sais pertinemment que ce vent terrible n'est que le prémisse d'un hiver bien plus effroyable, le genre d'hiver à vous écorcher la peau et à vous geler les os. Cela fait quelques années que les hivers sont insupportables à vivre ici ; la plupart des gens se barricadent chez eux et les seuls fous osant affronter la météo se retrouvent vite à pleurer des cristaux de sel.

Perdu dans mes pensées, je remarque à peine que je suis parvenu à la sortie de la ville et longe encore quelques minutes la route verglacée qui côtoie la mer. Le vent a tellement abîmé mon visage que je sens les gerçures de mes lèvres s'ouvrir une nouvelle fois et mes cils se coller entre eux. Seth a-t-il été choqué par mon apparence ? Certainement... Un éclat de rire sec m'échappe et je sens ma poitrine se compresser autour de mon cœur. Qu'a-t-il pensé en me voyant ? M'a-t-il trouvé pitoyable ? Repoussant ? Répugnant ?

J'ai bien vu la haine dans ses yeux. Je ne suis pas aveugle, je l'ai parfaitement vue. Comment pourrait-il en être autrement ? Il est devenu si beau et je suis devenu tellement... moi.

Je bifurque sur un petit chemin qui se rapproche de l'océan et atteint l'ancien village de pêcheurs. De sa beauté d'antan ne reste qu'une dizaine de petites cabanes en bois décolorées par le temps et la pluie. Six d'entre elles sont encore habitées – pour ne pas dire squattées – et c'est un miracle qu'elles tiennent encore debout malgré le nombre de tempêtes qu'elles se sont prises dans la gueule. Je fais partie des heureux élus vivant au milieu de cet amas de tôle et de bois dont la valeur est si insignifiante que personne ne prend plus la peine de venir les rénover.

Ma maison – enfin, le truc que j'appelle ainsi – se situe tout au bout du chemin. Au vu des traces bleuâtres qui parsèment encore les planches, je suppose que les murs furent un jour d'une couleur éclatante. Aujourd'hui, je suis juste content qu'ils tiennent encore debout en dépit de leur aspect vermoulu. Lorsque je me suis installé ici, quinze ans plus tôt, après des années à errer dans les rues et à squatter chez des amis, j'ai essayé de refaire toute la toiture et d'isoler au maximum les murs en bois. Honnêtement, je ne me suis pas trop mal démerdé, mais qu'importent les efforts fournis, l'hiver vient à bout de tout.

Epuisé, je pousse la porte dont la tôle commence à rouiller pour me faufiler à l'intérieur de la cabane qui me sert de foyer. A l'aveuglette, j'avance vers le groupe électrogène situé à l'opposé de la fenêtre puis tire sur la poignée de démarrage. Aussitôt, un terrible ronflement écorche le silence et l'unique ampoule du plafond se met à grésiller avant d'éclairer la pièce d'une lueur faiblarde.

Je frissonne. Bordel, dehors ou dedans, la température ne change guère.

Je me force tout de même à retirer ma veste et me laisse tomber dans le vieux canapé-lit qui trône au milieu de la pièce. Là, je rejette ma tête sur le dossier inconfortable puis ferme les yeux.

Raz de maréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant