48. Brume de mystères

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SETHY


— Papa ?

Je relève la tête de mon dossier pour la tourner vers mon fils allongé dans son petit lit d'hôtel. Les médecins ont accepté qu'il sorte de l'hôpital ce matin et, bien que cela nous ait ravi, Vic ne peut pas faire grand-chose à part végéter dans ses draps bleus et regarder la télé.

— Qu'est-ce qu'il y a ? je m'enquiers avec une certaine inquiétude qui refuse de me quitter depuis son accident.

Vic perçoit mon trouble puisqu'un léger sourire vient flotter sur ses lèvres.

— T'en fais pas, je vais bien, me rassure-t-il d'une voix fatiguée, je me demandais juste... Tu crois que je pourrais parler à Hazel ?

Sa requête me surprend tellement que je manque de m'étrangler avec la chips que je viens d'avaler. Méfiant, je dévisage mon gamin dont les yeux noirs ont retrouvé de leur éclat en dépit de son visage pâle. Il me paraît encore plus frêle que d'habitude avec son immense plâtre qui emprisonne sa jambe et son gros sweat noir dans lequel flotte son corps. Depuis son accident, il a perdu son air farouche et son regard provocateur, n'endossant plus qu'une douce émotion qui me rappelle régulièrement qu'il n'est encore qu'un adolescent.

— Pourquoi tu voudrais parler avec lui ?

— Ben pour le remercier ! s'exclame mon fils comme si c'était une évidence. Il a quand même descendu une falaise pour venir me rassurer ! Et puis... Je m'ennuie un peu... Et j'aime bien parler avec lui.

Pendant quelques secondes, je me force à rester silencieux afin de ne pas répondre trop brusquement. Il est vrai que Hazel n'a pas hésité une seule seconde à braver le vide pour rassurer Vic et que ces deux-là semblent s'entendre à merveille – chose qui, si je dois être honnête, ne me déplaît pas autant qu'auparavant. Je comprends également l'ennui qui accable mon gamin : coincé dans cette petite chambre à la tapisserie jaunâtre qui sent le renfermé, il ne possède pas de nombreux moyens de distraction. Du coin de l'œil, j'avise sa Switch qui trône fièrement près de son oreiller et sur laquelle il est rivé depuis sa sortie de l'hôpital.

J'ai pourtant bien essayé de l'inciter à rentrer chez ses grands-parents le temps que sa mère finisse son voyage. Mais rien à faire. Il a fallu que Hannah apprenne la nouvelle pour qu'il n'ait plus le choix. Lorsque je l'ai appelée pour lui expliquer ce qui était arrivé à notre enfant, elle m'a hurlé dessus pendant une bonne vingtaine de minutes et je n'ai pu que subir sa colère, foncièrement coupable de ce manque de vigilance qui aurait pu coûter la vie de Vic. Du coup elle va venir le chercher. Non négociable.

— Je l'ai déjà remercié pour toi, précisé-je inutilement.

Vic me fait les gros yeux et je retiens un sourire amusé.

— C'est bon, j'ai compris, je lui dirai de passer te voir. Mais ce sera expéditif !

Mon fils se contente de hocher joyeusement la tête et je suis soulagé qu'il ne creuse pas plus la curiosité que je vois flamboyer dans ses prunelles. Je ne me sens pas encore capable de lui raconter le passé qui me lie à Hazel.

Alors, tandis que Vic allume la petite télévision péniblement accrochée au mur en face de lui, je m'éclipse de sa chambre pour aller me faire mon cinquième café de la journée. Je vais avoir besoin de force pour les heures à venir !


***


Les entrepôts du chantier naval s'étirent paresseusement dans la brume qui enveloppe le port. Leurs vieilles carcasses rectangulaires me font penser à un jeu de Lego oublié depuis trop longtemps et pourtant encore porteur d'une certaine nostalgie. Aucun employé ne s'active dehors ; tous se sont réfugiés à l'intérieur et j'entends des éclats de voix, parfois couverts par le rugissement des machines, briser le silence environnant.

Raz de maréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant