1. Fiona

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— Cachaça ! T'es passée où ? Je vais y aller, là ! Si tu veux manger, c'est maintenant !

Je souris quand je vois approcher la petite tigresse de sa démarche souple et altière. Sa tête inclinée vers moi et ses yeux brillants ne laissent aucun doute sur ses intentions.
Avec un petit rire, je verse les croquettes dans la gamelle et écoute les bruits de mastication satisfaits de mon chat.

Un son strident retentit.
Je jette un œil sur son téléphone.
Ma deuxième alarme.
Je grimace.
Deuxième alarme égal retard trop important nécessitant excuses auprès du patron.

Je cours, récupère mon sac et sors de l'appartement.
Comme tous les matins, je marche trop vite dans la rue à m'en arracher les mollets et descends les escaliers des souterrains quatre à quatre.
Puis je saute dans le métro à la dernière minute, peste contre le rythme parisien, contre cette satanée « valeur travail », et contre la vie tout court.
Puis je marmonne des excuses en insultant les gens dans ma tête.
Et comme tous les matins, je sors en manquant de trébucher entre le marche-pied et le quai.
Alors que j'ai TRÈS BIEN compris l'avertissement en japonais.

Comme tout le monde.
Évidemment.

Sur le chemin de la clinique, je passe toujours sous un pont, dans un espèce de tunnel éclairé de quelques loupiotes industrielles, ces taches verdâtres pas très engageantes qui me donnent l'impression d'être un cobaye dans un laboratoire.
Je regarde au plafond d'un coup.
D'ailleurs, peut-être qu'on m'observe là, juste maintenant ?
Je connais bien les SDF qui dorment ici dans le froid.
Ils sont sympathiques.
La plupart du temps.
Ce matin, ils ont l'air parfaitement inconscients, mais je dépose quand même une pièce dans leur gobelet Starbucks plus sale que mon four. Les passants sont loin de l'autre côté du tunnel.
Et ce matin-là, une berline noire, classe et discrète, ralentit près de moi.
Un homme au volant, habillé en costard et portant des lunettes plus noires que sa confiance en lui m'interpelle :
— Madame, pourriez-vous s'il vous plait monter avec nous ? Une personne souhaiterait vous parler. Cela n'a aucun lien avec un quelconque crime ou délit, je vous assure.
Il est étrangement poli, mais c'est marrant ses paroles sonnent pas mal comme celles du gars qui a commencé une p'tite collection sur son casier judiciaire depuis 86.
Ce n'est donc pas un de ces mecs « nan-mais-j'te-dis-qu't'es-mignonne-tu-pourrais-me-répondre-salope ».
Bonne nouvelle.
La berline et les lunettes noires par contre, ça fait très « je-suis-caissier-à-Franprix-le-jour-et-dealer-de-pâquerettes-la-nuit-t'as-capté ».
Il est bien habillé.
Ça peut être un serial killer, donc.
Je serre son sac contre moi, et plonge ma main au fond de ma poche pour prendre mon téléphone.
— Euh... Bah, j'vous connais pas, donc j'vais dire non. En plus je pars au travail là, donc vraiment...
— Madame, je vous assure, reprend le gars trop poli trop bien habillé pour pouvoir m'assurer quoi que ce soit. Ceci n'est pas un kidnapping. Nous voulons simplement vous parler, discuter de quelque chose avec vous. Nous avons besoin de votre aide. C'est dans votre intérêt.
— Ouais ouais.
Je grommelle et jette des regards tout autour de moi.
Vraiment, il n'y a personne dans ce tunnel de la malchance.
Décidément, les parisiens se lèvent beaucoup trop tard.
Bande de branleurs.
— Si on part comme ça, moi j'ai b'soin de plein d'trucs – genre des manettes de switch, un abonnement UGC, un tarif étudiant à la FNAC – mais vous savez, on a pas toujours c'qu'on veut dans la vie. Donc désolée, mais vous trouverez quelqu'un d'autre pour vos bails chelous.
Ma colère et mon café du matin me donnent l'adrénaline et la force de répondre sans flancher.
J'ai entendu plusieurs fois que sur un malentendu, le culot peut sauver. C'est le moment de tester, je pense.
Mais mon corps, lui, me trahit. Comme d'habitude.
Je reprends ma marche d'un pas rapide, légèrement chancelant. Mais sous ma large veste en jean, j'espère que ça se voit pas trop... Si ?
Bon.
Au pire, quoi ?
Mon cadavre retrouvé dans 6 ans sous un buisson du bois de Boulogne ?
Merde. Qui va s'occuper des chats ?
C'est chiant.
Sinon, kidnapping et quinze ans de séquestration...
Ouais, c'est long.
Mais après peut-être faire l'objet d'un film, ou d'une série gore qui plaira qu'aux geeks et aux critiques, ces gens qui froncent les sourcils et mangent du chlore au p'tit déj ?
Plein de youtubeurs qui feront des « Thread horreur » sur ma super expérience de ce charmant lundi matin de mai.
Ouais... Pas trop mon objectif de vie, finalement.
La voiture accélère et me talonne.
Évidemment, mes baskets blanches de contrefaçon ne valent pas une Audi. Je grogne dans ma barbe inexistante – quoique, à débattre ça aussi.
— Madame, j'insiste. Je vous promets que nous ne vous ferons aucun mal. Vous...

Ceci n'est pas un kidnappingWhere stories live. Discover now