7. Mademoiselle Je-Ne-Me-Pose-Pas-De-Question

101 20 15
                                    

J'en ai marre d'être une connasse.

Surtout que j'crois que j'me prends plutôt bien au jeu.

Là, j'suis chez les parents de la roussouge, et il se trouve que toutes mes craintes ont été confirmées. Ils sont tout comme elle, mais en plus vieux, plus fermés, et plus chiants.

Bref, un cauchemar.

Et moi dans tout ça, ben faut que je fasse comme si je pensais que finalement, la pauvreté dans le tiers-monde c'est pas si grave, parce que quand on regarde Echappées Belles, les indiens en vrai ils ont toujours l'air super heureux ! Ah oui, pis les gens gros ? Bah, ils ont qu'à maigrir, il faut arrêter de se plaindre sans se remettre en question. Et si les homos et les trans pouvaient arrêter de demander des droits aussi. C'est bon, on est tous humains, non ?

Sans oublier le mimétisme physique évidemment. Je suis surprise de me rendre compte qu'en fait, faire semblant de penser que je n'ai pas de droit dans cette société et imiter les origines anglaises de Prudence me demandent autant d'efforts.

Y a juste un qui me tape un peu plus sur le système.

C'est que j'ai l'air complètement con à appeler une inconnue « mom ».

Mais la princesse connasse a été claire : on parle en français parce que ses parents ont vraiment la volonté de s'intégrer, mais les p'tits surnoms, on reste en anglais. Et parfois, si des p'tites phrases s'échappent en anglais, il faut faire semblant de comprendre et prendre un air réprobateur.

Parce que « quid de l'assimilation de la culture française, mom ? »

Evidemment, Prudence m'a fait un historique de sa famille avant ce repas. Billy a épousé Darcy Wright, peut-être pour son statut social, peut-être pas – le mystère reste entier, apparemment. La famille Wright n'est pas vraiment riche, mais elle appartient à une p'tite bourgeoisie qui fait bien sur un CV, askip.

Et quand Prudence a fait fortune grâce à son jeu vidéo, ses parents n'ont bien sûr rien compris, mais au moins ils étaient contents. Contents, mais déçus que le succès ne se traduise pas par un mariage.

Ouais, grave triste.

Trop déçue de pas devoir faire semblant d'être une épouse en plus de tout ce délire.

D'ailleurs, j'ai essayé de dire à Prupru que franchement, elle pourrait gérer ses repas de famille. L'entreprise, ok, je gère. Mais la famille, bon, c'est pas que j'en ai rien à foutre, mais...

Mais non. Elle a refusé catégoriquement de récupérer son identité pour aller voir ses parents, donc me voilà.
En train d'aider Darcy à faire la vaisselle, dans mon blazer trop serré, à faire des gestes étriqués, ridicules.

Darcy est bien silencieuse dans sa tâche, mais je me dis que peut-être dans cette famille, on parle pas des masses. Moi j'avoue, j'saurais pas dire, vu que je vois pas trop la mienne, depuis longtemps maintenant.

Donc bon, pas grave, je fais la vaisselle et je ferme ma gueule.

C'est bien, des fois.

Puis, la voix de Darcy retentit tout près de moi. Elle grésille de vieillesse, de lassitude p'tet, et surtout de cigarette, je pense.

— Tu es étrange aujourd'hui, Prudence. Tu es sûre que tout se passe bien ?

Je freine dans mon mouvement de lavage de verre.

Me dis pas que je vais me faire choper si vite ? Au PREMIER repas de famille ? Ce serait vraiment naze.

Et genre Princesse Connasse elle se ferait pas choper alors que moi oui ? Alors qu'elle fait zéro effort ?

Ceci n'est pas un kidnappingWhere stories live. Discover now