26. Prudence fortiche (1/2)

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Je me doutais que cette partie de la discussion ne lui ferait pas plaisir, pas plus qu'à moi d'ailleurs. Mais je me devais de la prévenir, je ne peux pas prendre le risque de l'envoyer chez mes parents demain et lui faire découvrir ce détail sur place, sans avertissement, surtout connaissant son tempérament pour le moins... enflammé.

Et moi, je ne suis pas Fiona. Contrairement à elle, je ne la jette pas en pâture à des gens avides, qui recherchent la moindre faille, le moindre échec dans une situation qu'elle ne peut pas prévoir ni maîtriser.

Sa respiration s'est soudain accélérée, son souffle rauque est entrecoupé de sifflements qui s'apparentent presque au grondement menaçant d'une vipère sur le point d'attaquer.

— Fiona...

— Nan mais attends.

Elle grogne plus qu'elle ne parle, mais sa voix est étrangement posée, grave, ce qui la rend encore plus pesante, inquiétante.

— T'es en train d'me dire que là tu m'envoies bouffer chez tes parents pour gérer ton pervers à ta place ?

J'inspire lentement pour retenir le soupir qui voudrait s'échapper, et je continue à caresser la boule de poils qui a élu domicile sur mes genoux, toujours plus immobile qu'une statue.

— Ce n'est pas un pervers, et non, ce n'est pas l'unique raison pour laquelle je t'ai demandé de me remplacer demain.

Je ne peux pas m'empêcher de remarquer la foudre noire qui tempête dans le coin de ses prunelles, alors j'explique, le plus calmement possible :

— Mais il est vrai que demain, en plus de tenir tête à mes parents, je ne me sentais pas de lui faire face à lui non plus.

La lave dans son regard s'apaise légèrement avant qu'elle ne ferme les yeux un court instant.

— OK. Bon. D'toute façon, j'ai dit que je te remplacerais demain, et c'est OK. J'vais le faire. J'vais gérer ce connard à ta place.

Un courant d'air glacé fige mes poumons et ma poitrine, ma main se gèle et s'immobilise sur le ventre de Limoncello, qui proteste dans un demi-sommeil.

— Non, attends, Fiona, qu'on soit bien claires : je ne veux pas que tu « gères » Daniel à ma place. Il ne s'agit pas de faire ou dire quoi que ce soit de particulier. Il suffit simplement que tu ailles au repas, que tu fasses la conversation, que tu répondes aux questions de ma mère et–

— Ouais ouais. Et si le mec tente un truc, j'fais quoi ? J'lui saute dessus et j'l'embrasse à pleine bouche ? Ou alors j'le tue ? Certains diraient que c'est p'têt un peu exagéré, mais moi je trouve ça efficace.

Une bile amère remonte le long de ma gorge et gangrène ma bouche. Par réflexe, en l'absence d'un geste plus adéquat, je place une main devant ma bouche pour cacher ma grimace.

— Non, bien sûr que non, m'empressé-je de répondre. S'il te fait des avances – ce dont je doute fortement – tu le rejettes de manière élégante et respectueuse.

— Hm-hm, ouais ouais, raille-t-elle en me lançant un regard en biais. Et s'il insiste, j'fais quoi ?

— Honnêtement, je ne pense vraiment pas qu'il insiste...

Le transat tout près de moi crisse dans un bruit métallique assourdissant, tandis que je vois un mouvement brusque et fluide du coin de l'œil. Je tourne la tête à temps pour croiser le regard ardent de Fiona qui répond parfaitement à la lueur froide de la lune. Elle s'est assise sur le côté du siège, les coudes nonchalamment posés sur le bout de ses genoux et me regarde avec ces yeux noirs, obsédants qui ne me laissent aucune échappatoire.

Ceci n'est pas un kidnappingWhere stories live. Discover now